Warren Buffett. (Photo: Getty images)
BLOGUE INVITÉ. Berkshire Hathaway a un problème de taille, littéralement. Sa capitalisation boursière surpasse maintenant les 500 G$ et au plus récent trimestre, son encaisse se chiffrait à 114,2 G$, en hausse de 2,3 G$ par rapport au 31 décembre 2018. Il n’est pas facile d’investir ces sommes, surtout lorsqu’on recherche des aubaines. L’encaisse que possède la société représente plus de 20 % de sa valeur. Quand on sait quels taux d’intérêt on obtient présentement sur l’encaisse, on peut imaginer la frustration de M. Warren Buffett de ne pouvoir investir son encaisse.
La taille de Berkshire la contraint à ne considérer que des investissements de quelques milliards de dollars, voire quelques dizaines de milliards, ce que Buffett appelle des «éléphants». Un investissement de quelques centaines de millions de $ n’en vaut pas la chandelle: 1 G$ ne représente que 0,2 % de la valeur de la société et moins de 1% de son encaisse.
Ce problème de taille est amplifié par le succès financier et la rentabilité des sociétés opérationnelles de Berkshire. En effet, l’entreprise dégage et continuera de dégager des flux de trésorerie libres substantiels et probablement croissants au cours des prochaines années. Imaginez: les flux libres se sont élevés à 22,9 G$ en 2018 comparativement à 23,9 G$ en 2017 et à 19,6 G$ en 2016. Les liquidités s’accumulent plus rapidement qu’elles ne sont investies.
Or, je crois qu’une voie de sortie à cette situation difficile commence à mon avis à se dessiner pour la société et ses actionnaires: des rachats par Berkshire Hathaway de ses propres actions. Bien que les dirigeants de Berkshire disent depuis longtemps être prêts à effectuer de tels rachats, dans les faits, ce n’est que tout récemment qu’ils sont réellement devenus possibles. En effet, jusqu’à 2011, Buffett avait déclaré publiquement que Berkshire Hathaway ne voulait pas payer un prix de plus d’une fois la valeur comptable. En 2011, il a dit être prêt à payer 1,1 fois la valeur comptable. Il a ensuite ajusté cette contrainte à la hausse à un maximum de 1,2 fois la valeur comptable. En déclarant publiquement le prix auquel la société comptait racheter ses actions, Buffett garantissait ni plus ni moins que la société ne rachèterait pas ou très peu d’actions!
Or, la direction a changé son discours en juillet 2018 en déclarant que la société rachèterait désormais ses propres actions «à tout moment où MM. Munger et Buffett considéreraient que le titre de Berkshire s’échangerait à un prix moins élevé que leur estimation prudente de la valeur intrinsèque». Ce critère beaucoup plus large confère à Berkshire une flexibilité grandement accrue qui augmente sensiblement ses chances d’effectuer des rachats.
Les rachats d’actions n’ont pas tardé à faire leur apparition, même s’ils n’ont pas encore été substantiels. Au troisième trimestre de 2018, la société a racheté pour 928 M$ de ses actions, puis elle a récidivé avec 418 M$ au quatrième trimestre de 2018. Personnellement, compte tenu de la correction des marchés boursiers et de la baisse du titre de Berkshire Hathaway au cours des dernières semaines de 2018, je soupçonne qu’une acquisition majeure avait été envisagée par la direction qui n’a finalement pas fonctionné. C’est ce qui expliquerait que la société ait racheté si peu d’actions alors que son évaluation devenait attrayante. Au plus récent trimestre terminé en mars, Berkshire a racheté pour près de 1,6 G$ de ses actions.
Lors de la récente assemblée annuelle de la société, Charlie Munger a dit: «Je prédis que nous deviendrons beaucoup plus ouverts avec les rachats d’actions.» Buffett a aussi dit que, au bon prix, la société pourrait racheter des actions pour des sommes substantielles.
Pour ma part, je considère que les rachats d’actions à un prix attrayant sont souvent l’investissement le plus intéressant que puisse faire une entreprise, surtout s’il n’y a pas beaucoup d’autres options d’investissement disponibles. Au bon prix, c’est souvent l’investissement que les dirigeants d’une entreprise comprennent le mieux et qui comporte le moins de risque. De plus, pour les actionnaires qui gardent leurs actions, les rachats d’actions sont très efficaces du point de vue fiscal puisqu’ils n’ont pas d’impact fiscal immédiat.
Je préférerais certainement que la société investisse ses liquidités substantielles dans une acquisition majeure au cours des trimestres à venir. De telles occasions surviendront sans doute tôt ou tard. Entre-temps et tant que les évaluations de telles acquisitions demeureront élevées, je prédis que les rachats d’actions de Berkshire deviendront une utilisation constante et croissante de ses liquidités excédentaires. Advenant une correction du titre, il ne faudrait pas être surpris d’apprendre que la société ait racheté pour 10 G$, 25 G$, voire 100 G$, de ses propres actions.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
Chef des placements, COTE 100