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Bientôt un salaire minimum pour tous les stagiaires au Québec?

L'économie en version corsée|Publié le 11 novembre 2019

Bientôt un salaire minimum pour tous les stagiaires au Québec?

2 stagiaires sur 3 vivent sous le seuil de la pauvreté... (Photo: Niklas Hamann/Unsplash)

CHRONIQUE. L’Allemagne est en passe de mettre un terme à une injustice qui perdure depuis une éternité. Le Bundestag – l’Assemblée parlementaire allemande – s’apprête en effet à adopter une loi imposant aux employeurs de verser un salaire minimum à tous les stagiaires. Celui-ci serait d’au moins 515 euros (750 dollars) par mois, à partir de 2020. Par la suite, il devrait croître à mesure que les salaires du secteur d’activités en question iront croissant.

En ce qui concerne les apprentis, les stages se transforment la plupart du temps en longues périodes de formation au sein de l’entreprise, lesquelles peuvent s’étaler sur plusieurs années. Là aussi, le salaire minimum de 515 euros sera imposé, passant au bout de quelques mois à 620 euros (904 dollars), puis au-delà à mesure que le temps passera. Ce qui représentera tout un changement : les données de l’Agence fédérale pour l’emploi montrent qu’en 2017 les apprentis qui étaient rémunérés touchaient en moyenne 500 euros (729 dollars) par mois, et même moins de 400 euros (583 dollars) pour certains d’entre eux.

Les syndicats – IG Bau, NGG… – ont aussitôt salué cette décision, même s’ils ont souligné que la somme promise – 515 euros – était «nettement insuffisante». C’est qu’ils y voient notamment une belle occasion d’attirer les jeunes vers des «métiers à fort taux d’abandon», comme l’agroalimentaire, l’hôtellerie et la coiffure; et donc, de combler au moins partiellement la pénurie de talents qui commence à se faire sentir dans ces professions-là.

À noter que la loi, qui n’attend plus que l’aval du Conseil fédéral pour entrer en vigueur, prévoit une exception de taille au salaire minimum pour les stages : les employeurs et les syndicats pourront conclure un accord entre eux pour que certains secteurs d’activités soient exemptés de l’impératif de verser ce salaire-là. Il appartiendra donc aux stagiaires, et à leurs représentants de veiller au grain pour que leur salaire minimum ne devienne pas un simple élément de négociation entre patronat et syndicats…

Bref, l’Allemagne fait un pas de géant pour les stagiaires, et se pose dès lors une interrogation fondamentale : et le Québec? Que fait-il, lui, pour ses stagiaires? Oui, pour la relève? Surtout que – faut-il le rappeler? – nous sommes ici en pleine «pénurie de talents»…

Une étude de l’Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation (Adeese) de l’UQÀM a sonné l’alarme à ce sujet, l’an dernier. Elle mettait au jour le fait qu’une vaste majorité des stages ne sont pas rémunérés au Québec, que «les stages non rémunérés engendrent des dépenses supplémentaires et créent une surcharge de travail» et même que «souvent contraints de réduire leurs heures de travail ou d’abandonner leur emploi, les étudiants subissent une forte pression financière, qui se traduit par un manque à gagner, un accroissement de l’endettement ou de la dépendance envers les proches». Ainsi:

– Une enquête du CRIS-UQO a montré que 84% des étudiants consacraient plus de 20 heures par semaine à leur stage, et qu’ils étaient 64% à dédier plus de 10 heures par semaine à leurs travaux et autres obligations associées aux stages.

– Un quart des stagiaires estiment que l’horaire de leur stage est incompatible avec leurs études et leur emploi, d’après une enquête réalisée l’an dernier auprès des étudiants du cégep Édouard-Montpetit.

– 42% des étudiants en éducation réduisent leurs heures de travail lors de leur stage final, et même 7% d’entre eux abandonnent carrément leur emploi à ce moment-là, selon une étude de la CRAIES.

«En réduisant leurs heures de travail, les étudiants perdent de l’argent, résume l’étude de l’Adeese. Par exemple, une recherche de la Cadeul a montré que, pour un stage de 12 semaines à temps plein, les pertes sont évaluées à environ 1.500$ pour un étudiant travaillant 8,7 heures par semaine et à un peu plus de 3.000$ pour un étudiant travaillant 17,7 heures par semaine. Ce qui les met dans une situation difficile.»

Résultat? Au Québec, près de 2 stagiaires sur 3 (62%) disent devoir vivre avec moins de 1.000$ par mois, ce qui les place sous le seuil de la pauvreté, d’après l’étude de l’Adeese. À cela s’ajoute le fait que 42% des stagiaires ressentent «du stress, de l’anxiété, de l’isolement ou de la détresse», et par suite que 38% d’entre eux ont recouru – ou eu l’intention de recourir – à un soutien psychologique durant leur stage.

Bref, la situation est carrément catastrophique. Et il est clair qu’un soutien financier solide – à l’image d’un salaire minimum – serait le bienvenu.

Certes, le gouvernement Legault a lancé en juin son Programme de bourses de soutien à la persévérance et à la réussite des stagiaires, qui vise à contrer la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur public – éducation, santé, services sociaux. Celui-ci est doté d’une enveloppe de 30 M$ et permettra de verser aux stagiaires concernés un montant variant entre 900$ et 4.000$. Mais, reconnaissons-le, nous sommes encore loin du concept de salaire minimum : seulement 17.000 étudiants devraient pouvoir bénéficier du Programme, et celui-ci ne concerne en rien le secteur privé…

D’où ma question : à quand un salaire minimum pour tous les stagiaires au Québec? Pour bientôt? C’est que s’inspirer de ce qui se fait en Allemagne pourrait bel et bien nous aider à atténuer la pénurie de talents dont se plaint tant le milieu des affaires québécois…

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les Affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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