Alimentation saine, bien-être animal ou protection de l'environnement... Quelle que soit la raison, les consommateurs ...
Alimentation saine, bien-être animal ou protection de l’environnement… Quelle que soit la raison, les consommateurs achètent de plus en plus d’aliments végétariens et végétaliens. Des entreprises agroalimentaires ont compris le message : nombreuses sont celles qui modifient leur offre. Certaines vont jusqu’à révolutionner leur stratégie, comme le géant mondial des légumes Bonduelle.
«Notre stratégie est de déterminer la manière dont les consommateurs vont consommer les aliments à base végétale ou plant-based food. Bonduelle veut être un leader dans tous les segments qui touchent à cette alimentation», affirme Mark McNeil, directeur de Bonduelle Amériques, produits de longue conservation, une filiale de la multinationale française dont le bureau principal est à Montréal.
Bonduelle, un géant mondial des légumes, a une longueur d’avance sur certains de ces segments. Fondée en 1853, l’entreprise familiale inscrite à la Bourse de Paris (BON, 29 euros) cultive des légumes sur 130 000 hectares et les commercialise dans une centaine de pays, de la Russie à l’Argentine.
De grandes chaînes d’alimentation vendent ses légumes sous plusieurs marques comme Cassegrain, Arctic Gardens, Del Monte ou Ready Pac Foods.
Même si Bonduelle vend des légumes, elle devra diversifier son offre de végétaux pour déployer sa stratégie, car l’entreprise ne commercialise essentiellement à l’heure actuelle que des légumes en conserve, surgelés et frais (des repas de salade).
«Nous voulons offrir beaucoup plus de catégories d’aliments végétaux, parce que la définition d’alimentation végétale est extrêmement grande», souligne M. McNeil.
Cette alimentation regroupe tous les aliments à la base de l’alimentation végétarienne et végétalienne (qui exclut les produits issus des animaux, y compris les oeufs et les produits laitiers). Il s’agit donc des légumes, des fruits, des noix, du riz, du blé ou des légumineuses.
Le nouveau Guide alimentaire canadien les valorise d’ailleurs en partie, car il met désormais l’accent sur trois groupes : les fruits et les légumes, les protéines (animales et végétales, comme les légumineuses) ainsi que les aliments à grains entiers (pain, pâtes, riz, etc.).
M. McNeil ne cache d’ailleurs pas son enthousiasme à l’égard du nouveau Guide. «C’est un rêve pour nous ! confie-t-il. C’est vraiment une photo de notre business et de là où on veut aller.»
Les principales sources de croissance
Le président de la multinationale française, Christophe Bonduelle, confirme l’importance de ce virage stratégique pour l’entreprise presque bicentenaire.
«La finalisation, le 3 juillet 2018, de l’acquisition de l’activité de fruits et légumes en conserve Del Monte, au Canada, est un pas de plus vers l’ambition affichée, en passant d’une offre de légumes à celle d’une alimentation plus largement végétale», écrit-il dans le dernier rapport annuel.
Dans les Amériques, la multinationale française compte huit usines au Canada, quatre aux États-Unis et une au Brésil. Bonduelle exploite aussi des bureaux administratifs ou de vente dans ces trois pays, en plus de l’Argentine.
L’entreprise s’est implantée au Canada en 2007 en faisant l’acquisition de la québécoise Aliments Carrière, de Saint-Denis-sur-Richelieu (en Montérégie), qui produit des légumes en conserve et des légumes surgelés.
En Amérique du Nord, Bonduelle déploie sa stratégie internationale du tout végétal pour les produits de longue conservation à partir de Montréal. La stratégie pour les produits frais est toutefois déployée à partir de la Californie. «Les décisions stratégiques de notre division vont se prendre ici, à Montréal», assure M. McNeil. Il précise toutefois que certaines décisions pour les produits de longue conservation qu’il supervise se prendront localement dans les pays où l’entreprise a des bureaux commerciaux, comme aux États-Unis, dans l’État de New York et en Arizona.
D’ailleurs, compte tenu de sa taille, le marché américain sera la principale source de croissance de l’entreprise dans les prochaines années.
«Il y a 15 ans, 100 % de nos ventes étaient au Canada. Aujourd’hui, c’est 50 %. Dans l’avenir, la plupart de notre croissance en Amérique du Nord proviendra des États-Unis», explique M. McNeil.
Pour l’exercice 2017-2018, le chiffre d’affaires mondial de Bonduelle s’élève à 2,8 milliards d’euros (ou 4,2 G $), en hausse de 21,4 % comparativement à l’exercice précédent. Une performance qui tient en grande partie à l’acquisition de l’américaine Ready Pac Foods, en 2017, qui générait des revenus d’environ 800 millions de dollars américains.
Cette acquisition lui a permis de percer le marché des salades fraîches vendues en portions individuelles, dans lequel Ready Pac Foods est un leader.
Aujourd’hui, Bonduelle réalise 47 % de ses ventes mondiales en Amérique du Nord (Canada 10 % et États-Unis 37 %), pour un total de près de 1,3 G€ (1,9 G $). Outre la diversification de son offre, l’entreprise mise de plus en plus sur des aliments végétaux plus haut de gamme, qui peuvent être vendus à des prix un peu plus élevés.
«On veut que nos produits soient moins une commodité et plus à valeur ajoutée», dit le dirigeant. Par exemple, au lieu de vendre du maïs en conserve, Bonduelle pourrait les commercialiser dans un autre format avec ses marques Del Monte et Arctic Gardens.
Si on traduit cette volonté en termes financiers, Bonduelle vise à ce que la croissance de ses bénéfices soit plus rapide que celle de ses revenus. L’entreprise précise qu’elle compte doubler son chiffre d’affaires dans les sept prochaines années pour le porter à près de 4 G $, mais elle ne divulgue pas de prévisions chiffrées pour la croissance de son bénéfice.
Pour y arriver, l’entreprise doit cependant améliorer son efficacité, indique M. McNeil.
Comment ? En réduisant ses coûts dans la gestion des opérations et en investissant des «millions de dollars» afin de moderniser et d’automatiser davantage ses usines.
Bonduelle investit aussi de manière «assez importante» dans la R-D pour innover, surprendre les consommateurs et accroître ses ventes.
Enfin, pour continuer de grandir, Bonduelle s’appuiera en grande partie sur des acquisitions. «L’essentiel de la croissance dans les 10 prochaines années proviendra des acquisitions», souligne M. McNeil.
Sans donner plus de détails, il ajoute que l’entreprise à une approche «opportuniste quant à la qualité visée».
Selon lui, Bonduelle est justement «bien positionnée» pour profiter de l’engouement pour l’alimentation végétale, car la société a fait des acquisitions stratégiques en Amérique du Nord ces dernières années.
Outre l’acquisition de Ready Pac Food, Bonduelle a aussi fait une autre acquisition stratégique en 2018, soit les activités de fruits et légumes transformés de Del Monte au Canada – qui appartenaient au géant américain Conagra Brands -, au coût de 43 M$.
L’industrie agroalimentaire s’adapte à l’alimentation végétale
La transition de Bonduelle vers l’alimentation végétale est en grande partie le fruit d’une vision stratégique qui a germé en 2012, lorsque l’entreprise a entamé une nouvelle phase de son développement à l’horizon 2025 et a lancé le projet VegeGo !
«Nous avons évolué pour être là où sont les occasions de croissance», dit M. McNeil.
Plusieurs études confirment que les consommateurs achètent de plus en plus de produits végétariens et végaliens, notamment dans les pays développés.
Comme en France, où les ventes de ces produits ont atteint 380 M€ (573 M$) dans les grandes et moyennes surfaces en 2018, soit un bond de 24 %, selon une étude de la firme d’analyse Xerfi. Cette dernière prévoit une hausse moyenne de 17 % par année d’ici 2021.
La demande de produits végétariens et végétaliens progresse aussi au Canada, selon Sylvain Charlebois, directeur des laboratoires de recherche en sciences analytiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie, à Halifax.
«C’est une tendance réelle qui ne va pas disparaître demain matin», affirme ce spécialiste de l’industrie agroalimentaire.
Selon une récente étude de l’Université Dalhousie et de l’Université Guelph (en Ontario) qu’il a pilotée, 460 000 Canadiens se disent végétaliens et 2,6 millions affirment avoir diminué ou éliminé totalement la consommation de viande.
L’étude n’a pas analysé le marché américain. Par contre, les proportions sont sensiblement les mêmes qu’au Canada, indique M. Charlebois, qui suit de près ce qui se passe aux États-Unis.
Un récent sondage Gallup, publié en août, montre que 5 % des Américains sont végétariens (un niveau stable depuis 2012) et que 3 % d’entre eux se considèrent comme végétaliens (en progression d’un point de pourcentage depuis 2012).
Comme ces chiffres le montrent, ce segment de marché demeure marginal. En revanche, il croît rapidement, fait remarquer M. Charlebois.
C’est d’ailleurs pourquoi les géants de la restauration rapide s’intéressent à l’alimentation végétale. McDonald’s offre désormais un McVegan, tandis que Burger King teste actuellement un Whopper végétarien avec son Impossible Burger.
Même Maple Leaf, le géant canadien de la saucisse et du bacon, a emboîté le pas. En avril, il a annoncé un investissement de 310 M $ US pour construire une usine dans l’Indiana, qui produira des protéines végétales afin de répondre à la demande du marché.
Aux quatre coins du continent, des épiceries spécialisées dans l’alimentation végétarienne et végétalienne voient aussi le jour. Quant aux organisations bien établies, comme la fameuse coopérative alimentaire PCC Community Markets, à Seattle, elles en profitent également.
On note la même effervescence sur le marché québécois. Depuis un an, Horizon Nature, le plus important distributeur d’aliments santé et bio du Québec, a vu la demande de protéines végétales augmenter de 35 %, et la demande continue de croître, souligne Johanne Prieur, vice-présidente aux ventes nationales.
«Les manufacturiers de tofu québécois ont beaucoup de difficultés à répondre à la demande», dit-elle au bout du fil, précisant que la demande est plus forte au Québec qu’en Ontario.
Dans ce contexte, Yan Cimon, spécialiste en stratégie à la Faculté des sciences de l’administration à l’Université Laval, estime que Bonduelle a plusieurs atouts pour profiter de l’engouement pour l’alimentation végétale.
«Le positionnement de l’entreprise est très intéressant, dit-il. Dans ce segment de marché, les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour avoir de la bonne bouffe, tout en conciliant des valeurs comme le bien-être animal ou la protection de l’environnement.»
De plus, au sein d’une multinationale présente dans une centaine de pays, Bonduelle Amériques profite aussi des innovations et des bonnes idées des autres usines du groupe dans le monde, sans parler de nouvelles tendances ou de saveurs.
Par exemple, en France, l’entreprise a lancé, en octobre, son concept de La boutique, l’émotion végétale, dans la région de Lyon. Ce n’est pas le premier point de vente de Bonduelle. En revanche, c’est le premier qui propose une «expérience large et enrichie», où les consommateurs peuvent acheter des produits, déguster des aliments, s’informer à propos de la production et de l’alimentation végétale.
Bonduelle n’a pas l’intention de déployer cette stratégie en Amérique du Nord, du moins pour l’instant.
Des défis importants malgré un vent favorable
Bien que les astres soient alignés pour Bonduelle, l’entreprise fait face à des défis importants, à commencer par la préoccupation de plusieurs consommateurs pour le suremballage et les déchets, souligne M. Cimon.
«À mesure qu’on emballe les légumes frais, il y a un risque de ne pas être dans une logique de développement durable», dit-il.
Selon lui, l’entreprise est aussi confrontée à un défi numérique, alors que l’offre de l’industrie agroalimentaire doit s’adapter de plus en plus en temps réel à la demande, et ce, grâce aux mégadonnées.
Dans cette industrie très compétitive, prévoir la demande avec le plus de précision possible est le nerf de la guerre pour demeurer une organisation rentable, car de mauvaises prévisions entraînent des coûts supplémentaires de stockage et de manutention.
M. McNeil affirme être bien conscient de cet enjeu : «On parle souvent aux détaillants qui vendent nos produits. On discute de leurs besoins dans les différentes catégories», dit-il. Fort de cette information, Bonduelle indique ensuite à ses partenaires agricoles quelles semences privilégier en prévision de la prochaine récolte.
L’agriculture comporte cependant des risques qui peuvent chambarder la capacité de Bonduelle à répondre à la demande, dont de mauvaises conditions météorologiques (sécheresses, pluies abondantes, etc.). Pour réduire ces risques, l’entreprise diversifie ses sources d’approvisionnement en Amérique du Nord. «Nos produits viennent de terres situées en Alberta, au Wisconsin, en Ontario, au Québec et dans l’État de New York», explique M. McNeil.
La prévision de la demande est plus facile pour les produits congelés, dit-il. Bonduelle constitue des stocks afin de répondre rapidement aux besoins des Loblaws et autres Target de ce monde si la demande augmente rapidement.
L’entreprise fait face à d’autres risques, plus structuraux. Le recrutement d’employés qualifiés et motivés en est un de taille, dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, confie M. McNeil.
«Il faut pouvoir attirer des talents, et pas seulement dans nos usines. Globalement, il faut convaincre des gens de travailler dans l’industrie agroalimentaire.» Bonduelle emploie quelque 1 350 employés au Canada, 3 000 dans les Amériques et 11 000 dans le monde.
Les changements climatiques et leurs effets sur l’agriculture sont un autre risque auquel M. McNeil et son équipe réfléchissent constamment. Drones, irrigation, semences plus résistantes… Là encore, rien n’est laissé au hasard pour maximiser les rendements agricoles et limiter l’impact du réchauffement planétaire sur les activités de Bonduelle et sur la société en général.
La transition de Bonduelle vers une alimentation végétale s’appuie d’ailleurs sur une vision lucide et à très long terme. «Nous pensons en décennies, pas en trimestres», insiste M. McNeil.
La population mondiale continuera de croître au cours de ce siècle. La Terre abritait 7,5 milliards d’habitants en 2017, selon la Banque mondiale. Ce nombre pourrait atteindre 9,8 milliards en 2050, et même 11,2 milliards en 2100, prévoient les Nations Unies, soit pratiquement l’équivalent de trois nouvelles Chine.
Dans ce contexte, le raisonnement de la direction de Bonduelle est simple. Comme la planète est un écosystème fini, avec des ressources limitées (eau, terres cultivables, énergie, etc.), la surpopulation fait en sorte qu’il faudra à l’avenir une agriculture capable de nourrir les gens, plus durable, et donc axée davantage sur une alimentation végétale. Une alimentation qui, non seulement consomme moins de ressources, mais protège la biodiversité et émet aussi moins de gaz à effet de serre responsables des changements climatiques, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
«C’est pourquoi Bonduelle est convaincu que l’alimentation végétale est la solution pour nourrir la population tout en respectant la nature, soutient Mark McNeil. Parce que le végétal n’a pas d’égal pour préserver les ressources de notre planète.»