La réalité est que le ministre Girard a dépensé beaucoup dans les dernières années. (Photo: Jérôme Lavallée)
COLLABORATION SPÉCIALE. Au-delà des données importantes qui s’y retrouvent, le dépôt du budget est un exercice de relations publiques et de politique, un ballet de communication planifié minutieusement. Pendant les dernières semaines, les «choix responsables et exigeants» étaient sur toutes les lèvres des stratèges et ministres caquistes, qui nous préparaient aussi à un déficit élevé. Tout était fait pour éviter le mot «austérité».
En mettant la table ainsi, le gouvernement s’assurait de modérer les attentes des groupes, entreprises et organisations qui sont, somme toute, peu étonnés de la présentation du ministre Eric Girard.
Dans ces circonstances, la réelle surprise du budget 2024-2025, c’est la décision du gouvernement de repousser le retour à l’équilibre budgétaire après l’année financière 2028-2029. Certes, il s’était donné cette possibilité lorsqu’il a remanié la Loi sur l’équilibre budgétaire. Mais c’est surprenant de la part d’Eric Girard, ministre reconnu pour sa nature plutôt conservatrice.
En agissant ainsi, le gouvernement a décidé de ne pas annoncer ses choix pour le moment. L’année prochaine sera donc cruciale alors que le nouveau plan de retour à l’équilibre budgétaire sera déposé. Mais est-ce que c’est un choix judicieux ?
Une question de perspective
Pour bien analyser le tout, prenons un pas de recul.
Évidemment, l’ampleur du déficit frappe l’imaginaire. À 11 G$, le gouvernement enregistre le déficit le plus élevé de tous les temps. Ce montant est très loin des 2,5 G$ de surplus dans lesquels la CAQ nageait à son arrivée au pouvoir.
Ceci dit, la pandémie a créé de réelles pressions sur la société. La hausse des intérêts a des impacts véritables sur les dépenses de l’État et des contribuables. Oui, le renouvellement des conventions collectives affectera le niveau de dépenses du gouvernement. Cependant, la réalité est que le ministre Girard a dépensé beaucoup dans les dernières années.
Selon les données compilées par l’Association des économistes du Québec dans son mémoire prébudgétaire, les dépenses ont atteint un sommet en 30 ans. Les dépenses de programme ont crû de façon particulièrement importante entre 2017-2018 et 2022-2023, plus considérablement que dans la moyenne des autres provinces. Nous dépensons maintenant 14% de plus par habitant, alors que l’écart était de 6% avant la pandémie.
Dépenser plus est un choix, mais quand la croissance du PIB et des revenus est faible et que le contexte économique n’est pas favorable, il devient de plus en plus ardu de justifier les dépenses. L’incertitude alimentant l’inquiétude, l’absence de plan de retour à l’équilibre budgétaire pourrait avoir des impacts sur la confiance des investisseurs et des marchés.
En n’annonçant pas tout de suite ses couleurs, le ministre Girard joue gros politiquement. Plus il tarde, plus il s’approche de l’échéance électorale. Plus il s’approche des élections, plus la population se souviendra des décisions difficiles.
Malgré tout, en protégeant les missions centrales de l’État que sont la santé et l’éducation, le gouvernement campe ses priorités. En cohérence avec les engagements de la CAQ, le ministre permet aux deux plus grandes missions, la santé et l’éducation, d’éviter le pire, même s’ils représentent près des deux tiers des dépenses de programme du gouvernement. En contrepartie, il annonce à tous les autres ministères que les temps à venir seront difficiles, très difficiles. Ils devront redoubler d’efforts; cela ne se fera pas sans obstacle.
L’examen global des dépenses gouvernementales — un outil d’arbitrage
Pour diminuer progressivement les déficits, le gouvernement Legault a notamment annoncé un examen global des dépenses gouvernementales, que l’on peut qualifier d’une solution temporaire pour calmer le jeu. Il s’achète encore un peu de temps pour trouver des voies de passage et minimiser les impacts, surtout ceux qui se feront sentir directement par la population.
Cette démarche ressemble grandement à la révision des programmes mise en place par les libéraux en 2014. Malgré la rigueur des travaux, les résultats n’avaient pas été à la hauteur des attentes. Pourquoi ? Parce que la pression a damé le pion aux bonnes intentions. Il est aisé de dire que des programmes
doivent être révisés : il est moins facile d’annoncer à des groupes que leur aide n’est pas renouvelée ou qu’ils n’auront pas la subvention espérée. La révision peut aussi amener à beaucoup de gains financiers marginaux, mais qui laissent des cicatrices politiques importantes.
Une chose est sûre: dans un contexte économique aussi difficile qu’il l’est actuellement, le ministre Girard a malgré tout choisi son camp, en ne prévoyant pas de retour à l’équilibre budgétaire pour protéger la santé et l’éducation. Est-ce le bon choix ? L’histoire nous le dira.