AGENT DE CHANGEMENT. La Française Émilie Mazzacurati a travaillé dans le secteur des politiques publiques, à la Ville de Paris et au Parlement européen, avant de lancer sa firme d’analyse de données portant sur l’impact économique des changements climatiques sur les actifs des entreprises. Je l’ai rencontrée à Montréal, lors d’un événement privé organisé par Addenda Capital.
DIANE BÉRARD – Votre entreprise se nomme 427. Qu’est-ce que cela signifie ?
ÉMILIE MAZZACURATI – C’était la cible d’émissions de Co2 de la Californie pour 2020. En 2006, notre État a déclaré qu’il souhaitait ramener ses émissions au niveau de 1990, soit 427 millions de tonnes de Co2. Nous y sommes parvenus cette année.
D.B. – Parlez-nous de votre service…
E.M. – Nous aidons les entreprises à comprendre l’impact physique du changement climatique sur leurs actifs, soit les usines et autres propriétés. Nous évaluons les risques thermiques, hydriques, d’inondation, de montée du niveau de la mer, etc. Nous aidons aussi les investisseurs à repérer où se trouvent les actifs dans lesquels ils investissent. Nous possédons une base de données qui analyse les risques climatiques liés à plus d’un million d’adresses : immeubles, usines, stations-services, commerces, etc. Si les actifs physiques sont touchés, il y aura un coût économique, bien sûr.
D.B. – Comment vos analyses de risques sont-elles exprimées ?
E.M. – Pour chaque actif et chaque catégorie de risque, nous accordons une note sur 100. Plus la note est élevée, plus le risque climatique est élevé. Certains risques sont binaires : vous en avez ou pas. La montée du niveau de la mer n’impactera jamais les actifs qui en sont éloignés. D’autres risques sont relatifs. Prenons la température à laquelle le corps humain ne peut plus fonctionner – le risque d’interruption des affaires. Seattle jouit d’un climat tempéré. Très peu d’édifices ont l’air climatisé. Une augmentation minime de la température moyenne pose donc un plus grand risque économique à un hôpital de la côte est américaine qu’une augmentation plus élevée à un hôpital du Texas, habitué aux vagues de chaleur. Et puis, il existe des seuils absolus qui entraînent une interruption des affaires partout sur la planète.
D.B. – Qu’est-ce que votre service apporte de nouveau ?
E.M. – Travailler avec des données issues de modèles climatiques n’est pas donné à tous. Nous assimilons des masses de données, des projections journalières sur des décennies, où la Terre est divisée en cellules, pour les transformer en quelque chose de digeste. Il ne suffit pas de savoir le temps qu’il fera en janvier 2029. Nous voulons comprendre les tendances et détecter les signaux faibles. Par exemple : à quelle fréquence observe-t-on une augmentation du volume de précipitations en trois jours ?
D.B. – Comment générez-vous les données qui vous aident à déterminer le risque climatique associé à chaque actif ?
E.M. – Il existe 44 modèles développés par des universités, des services météorologiques et des gouvernements. Ces modèles sont coordonnés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC), afin que les projections soient comparables entre elles. Nous travaillons avec cinq de ces modèles, nous allons passer à 18.
D.B. – Comment vos données influencent-elles les décisions des entreprises ?
E.M. – En constatant que le quart de ses usines se situent dans des zones sujettes à un nombre croissant d’ouragans et qu’une usine sur cinq affiche un risque d’inondation, une multinationale a déplacé une partie de sa chaîne d’approvisionnement. Évidemment, ces initiatives prennent du temps. C’est pour cette raison qu’il faut procéder aux analystes climatiques le plus rapidement possible.
D.B. – L’impact économique du changement climatique demeure difficile à évaluer…
E.M. – En effet, nous avons une compréhension limitée des impacts financiers de la météo. On sait, par exemple, comment les infrastructures énergétiques et le secteur agricole réagissent au stress climatique. Mais qui peut dire à quel moment des ouragans à répétition nuiront à la performance globale d’une entreprise de la région touchée et, éventuellement, à son titre ? On commence à voir des études sur les impacts de la chaleur sur la production manufacturière.
D.B. – Vous avez commencé votre carrière en prévention du changement climatique. Aujourd’hui, vous travaillez en adaptation. Avez-vous baissé les bras ?
E.M. – Au printemps 2010, lorsque l’idée d’un marché du carbone américain a été abandonnée, j’ai compris que les États-Unis ne déploieraient pas de vraie politique de changement climatique. Je crois toujours que la prévention est préférable, mais je reconnais que ma contribution est plus pertinente pour la compréhension du risque et l’adaptation.
D.B. – Quels horizons vos données couvrent-elles ?
E.M. – Nos données parlent de ce qu’il adviendra dans 10 à 15 ans.
D.B. – Vous avez ajouté les investisseurs à votre clientèle, pourquoi ?
E.M. – Ils disposent de peu d’information en matière climatique, mais ils ont une énorme influence.
D.B. – Comment travaillez- vous avec les gestionnaires de portefeuilles ?
E.M. – Nous produisons les données nécessaires pour qu’ils amorcent un dialogue avec les entreprises où ils investissent, plutôt que de désinvestir parce qu’ils ne possèdent pas assez d’information et qu’ils mesurent mal le risque climatique.
D.B. – En quoi consiste votre travail pro bono avec les organismes de réglementation ?
E.M. – Nous apportons notre expertise et nos données à la discussion sur le contrôle du risque systémique des marchés financiers. Nous échangeons souvent avec les banques centrales, entre autres.
Consultez le blogue de Diane Bérard