Ce qu’il faut savoir sur l’interdiction de fixation des salaires
La Presse Canadienne|Publié le 23 juin 2023Le gouvernement fédéral a apporté des modifications à la disposition relative aux complots de la Loi sur la concurrence en juin 2022, dans le cadre de sa Loi d’exécution du budget. (Photo: iStock)
TORONTO — De nouvelles règles interdisant la fixation des salaires et les accords de non−débauchage entrent en vigueur vendredi dans le but de réprimer les entreprises qui minent la concurrence aux dépens des employés.
Voici ce que les employeurs et les employés doivent savoir sur les nouvelles règles :
Quelle est la nouvelle loi?
Depuis le 23 juin, c’est une infraction criminelle pour deux employeurs ou plus de conclure des accords qui fixent, maintiennent, diminuent ou contrôlent les salaires. Il en va de même pour les accords qui empêchent les entreprises d’embaucher ou de solliciter les employés de leurs concurrents.
Le gouvernement fédéral a apporté des modifications à la disposition relative aux complots de la Loi sur la concurrence en juin 2022, dans le cadre de sa Loi d’exécution du budget.
«À l’instar des accords de fixation des prix, de partage des marchés et de restriction de la production entre concurrents, les accords de fixation des salaires et de non−débauchage entravent la concurrence», explique le Bureau de la concurrence, qui est responsable de l’administration et de l’application de la Loi sur la concurrence.
«Le fait de maintenir et d’encourager la concurrence entre les employeurs se traduit par des salaires plus élevés, ainsi que par de meilleures conditions d’emploi et perspectives professionnelles pour les employés.»
La sanction pour violation des dispositions sur la fixation des salaires et le non−débauchage comprend une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans et pouvant être accompagnée ou remplacée par une amende fixée à la discrétion du tribunal.
Qu’est−ce qui a changé?
L’article 45 de la Loi sur la concurrence interdisait jusqu’à maintenant les ententes entre concurrents visant à fixer les prix, à répartir les marchés ou à restreindre la production.
Mais cela ne s’appliquait pas aux pratiques des entreprises en matière de rémunération du travail. Au lieu de cela, les accords entre acheteurs concurrents étaient considérés en vertu des dispositions civiles contenues dans l’article 90 de la loi, qui interdit les accords susceptibles d’empêcher ou de réduire sensiblement la concurrence.
«Ainsi, si un accord entre acheteurs concurrents entraînait des effets anticoncurrentiels, tels que des prix plus élevés, cet accord pourrait être contesté et interdit en vertu des dispositions civiles», a expliqué Adam Goodman, associé du groupe d’examen de la concurrence et des investissements étrangers de Dentons.
«Ce que fait la nouvelle loi, c’est en faire une infraction criminelle pour un sous−ensemble de la conduite du côté acheteur.»
En vertu de la disposition précédente, les amendes étaient plafonnées à 25 millions $.
«L’entrée en vigueur des modifications relatives aux accords de fixation des salaires et de non−débauchage constitue une étape importante de la modernisation du droit de la concurrence au Canada», a déclaré le commissaire de la concurrence, Matthew Boswell, dans un communiqué de presse.
À qui s’appliquent les nouvelles règles?
L’amendement ne s’applique qu’aux accords entre employeurs non affiliés. Cela signifie que les accords de fixation des salaires ou de non−débauchage entre deux ou plusieurs entités contrôlées par la même société mère ne violent pas les dispositions.
Bien que les règles couvrent les accords de fixation des salaires et de non−débauchage entre employeurs, qu’ils soient en concurrence ou non dans la fourniture d’un produit, le Bureau de la concurrence a indiqué qu’il prévoyait de donner la priorité à son application sur les accords entre entreprises en concurrence pour la main−d’œuvre.
La nouvelle loi ne vise également que les dispositions de non−débauchage qui sont de nature mutuelle. Si une seule entreprise s’engage à ne pas embaucher les employés d’une autre, le Bureau de la concurrence dit que cela n’est pas visé par la loi.
Existe-t-il d’autres exceptions notables?
Le Bureau de la concurrence affirme que la loi vise les «restrictions pures et simples» à la concurrence, qui comprennent les restrictions salariales ou à la mobilité professionnelle qui ne sont pas mises en œuvre pour permettre une collaboration légitime, une alliance stratégique ou une coentreprise.
Le Bureau a ajouté qu’il avait l’intention de cibler des restrictions qui «sont clairement plus larges qu’il est nécessaire en ce qui concerne la durée, les employés couverts, ou lorsque l’accord ou l’arrangement commercial est un subterfuge».
Les règles ne couvrent pas les «restrictions accessoires» à la concurrence destinées à accroître l’efficacité de «certaines transactions ou collaborations commerciales désirables». La défense de restriction accessoire est offerte aux employeurs lorsqu’il est probable que la restriction découle d’un accord plus large ou distinct qui inclut les mêmes parties et que l’arrangement est raisonnablement nécessaire pour atteindre un objectif primordial.
Si les parties avaient pu parvenir à un arrangement équivalent ou comparable par «des moyens pratiques significativement moins restrictifs qui leur étaient raisonnablement accessibles», le Bureau a prévenu qu’il conclurait que la restriction n’était pas raisonnablement nécessaire.
Le Bureau de la concurrence a précisé qu’il n’évaluerait généralement pas non plus les clauses de fixation des salaires ou de non−débauchage qui sont accessoires aux transactions de fusion en vertu des nouvelles dispositions de la loi.
«C’est vraiment réservé aux contraintes pures et simples, où les parties essaient essentiellement de jouer avec le système ou de tricher en ce qui a trait au non−débauchage ou à la fixation des salaires, au détriment des employés», a souligné M. Goodman.
Qu’est−ce qui a motivé ce changement?
M. Goodman a noté qu’il y avait eu une attention accrue envers les problèmes de fixation des salaires et d’ententes de non−débauchage tant au Canada qu’à l’étranger au cours de la dernière décennie.
Aux États−Unis, il a observé que l’élan avait commencé en 2010, lorsque le département de la Justice a contesté un accord de non−débauchage entre les grandes entreprises technologiques sur une base civile. Puis, en 2016, le département, ainsi que la Federal Trade Commission, ont publié une directive indiquant qu’ils contesteraient ces accords sur une base criminelle, ce qui, selon M. Goodman, a eu un «succès limité».
Le problème s’est intensifié au Canada pendant la pandémie, lorsque les géants de l’épicerie Loblaws, Sobeys et Metro ont mis fin à un programme de primes pour les travailleurs horaires connu sous le nom de «prime de héros» le même jour en juin 2020, soulevant des questions sur une éventuelle coordination.
Alors que les entreprises ont affirmé à un comité de la Chambre des communes, plus tard cette année−là, qu’elles avaient agi de manière indépendante, la présidente de Loblaw, Sarah Davis, a reconnu qu’elle avait envoyé à l’avance un «courriel de courtoisie» concernant sa décision aux concurrents.
À la fin de 2020, le Bureau de la concurrence du Canada a publié une directive précisant qu’il ne pouvait pas contester les accords de fixation des salaires et de non−débauchage sur une base criminelle en raison du libellé de la législation existante.
«Le Bureau de la concurrence a toujours eu la possibilité de contester une conduite de non−débauchage ou de fixation des salaires s’il pensait que cela entraînait des effets anticoncurrentiels, et il n’a jamais porté plainte», a souligné M. Goodman.
«Ce n’est pas comme s’il y avait un problème avec les outils, ou que ceux−ci s’étaient révélés inadéquats pour effectuer ce travail. Les outils n’ont jamais été utilisés.»