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Certifié Québec

Diane Bérard|Édition de la mi‑juin 2019

Alors que le Canada ouvre de nouvelles voies à ses exportateurs en multipliant les ententes de libre-échange, on voit ...

Alors que le Canada ouvre de nouvelles voies à ses exportateurs en multipliant les ententes de libre-échange, on voit naître divers programmes de promotion d’achat local, comme la certification «Bien fait ici». Des initiatives qui soulèvent plusieurs questions. L’achat local est-il la réponse à la montée du protectionnisme ? Une certification est-elle nécessaire pour stimuler l’achat local ? Peut-on reproduire le succès d’«Aliments du Québec» au secteur manufacturier ?

Le 19 avril dernier, l’OBNL canadien «Bien fait ici» a lancé son site bilingue d’achat local. Sa mission : encourager l’achat de matériaux de construction de qualité et autres articles faits au Canada destinés au marché résidentiel. Les 2 500 articles proposés sur ce site ont tous la nouvelle certification «Bien fait ici», qui atteste que 51 % des coûts directs de fabrication ont été engagés au Canada.

«Rien ne ressemble plus à une feuille de gypse qu’une autre feuille de gypse, souligne Richard Darveau, président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT) et président du CA de « Bien fait ici ». Notre secteur ne compte pas de marques phares et il est envahi de coupeurs de prix. Dans un premier temps, nous avons tenté de former le personnel de vente chez les détaillants et d’éduquer le consommateur en magasin. Ça n’a pas fonctionné. La certification « Bien fait ici » était nécessaire.»

De son côté, l’Association des marchés publics du Québec (AMPQ) vient de terminer une réflexion similaire à celle de l’OBNL «Bien fait ici». L’AMPQ a évalué une certification «Kiosque fermier» pour distinguer l’étal tenu par un agriculteur de celui où un tiers propose des aliments qu’il n’a pas fait pousser. L’idée a été abandonnée pour deux raisons. D’abord, il y a Montréal… et le reste du Québec. «Un marché public comme celui de Jean-Talon – ouvert 12 mois par année – doit forcément compléter son offre par des produits d’importation, explique Jean-Nick Trudel, DG de l’AMPQ. En région, par contre, la plupart des marchés publics sont saisonniers et reposent sur l’approvisionnement hyper-local. La certification «Kiosque fermier» répond donc à un besoin trop niché.» Seconde raison de ne pas aller de l’avant avec ce label – qui différencie d’ailleurs le cas de «Bien fait ici» de celui des marchés publics : la relation directe entre l’agriculteur et le consommateur. «Les marchés publics n’ont pas besoin du raccourci qu’est la certification. On viendrait brouiller une relation qui fonctionne bien», estime M. Trudel.

Pourquoi se préoccupe-t-on davantage d’achat local ?

De tous les comportements d’achat responsable, c’est l’achat local qui connaît la plus grande popularité, nous apprend le Baromètre de la consommation responsable, produit par l’Observatoire de la consommation responsable de l’ESG UQAM. «Même les consommateurs peu allumés par la consommation responsable vibrent pour l’achat local», observe le professeur Fabien Durif, coauteur de cette étude annuelle. Cette demande du consommateur fait d’ailleurs bien l’affaire des gouvernements.

On voit se multiplier les programmes de promotion d’achat local. La France a créé sa certification «Origine France Garantie». De ce côté-ci, le Nouveau-Brunswick vient de lancer l’organisme «Excellence Nouveau-Brunswick» pour inciter sa population à consommer plus de biens et de services d’entreprises de la province avec sa campagne «Pour l’amour du Nouveau- Brunswick». Ajoutez le récent programme «Bien fait ici». Au Québec, comme ailleurs, l’achat local devient un vecteur important de développement économique.

«Les récents accords de libre-échange limitent le potentiel d’achat local du secteur public, commente Nicolas Marceau, ex-ministre des Finances du Québec et ex-critique du Parti québécois en matière de finance. Il devient difficile pour un gouvernement de favoriser ouvertement des fournisseurs locaux lors d’un appel d’offres important.»

Il existe des solutions, poursuit l’économiste : «Le gouvernement peut inclure des critères environnementaux dans leurs appels d’offres, comme des normes maximales d’émissions de GES liées au transport du bien acheté. Du coup, le fournisseur le plus proche aurait l’avantage. Il n’existe pas de contraintes légales à l’ajout de ces normes. On verra si les gouvernements s’en prévalent.»

En attendant, les efforts se tournent vers un autre marché, le secteur privé, soit les entreprises et les consommateurs. «Alors que j’étais porte-parole de l’opposition officielle en matière de finance, j’ai étudié la possibilité de développer une appellation équivalente à Aliments du Québec pour d’autres secteurs de l’économie», poursuit M. Marceau.

L’enjeu de l’achat local transcende les partis politiques. En 2017, le gouvernement de Philippe Couillard a mandaté l’Observatoire de la consommation responsable pour réaliser une étude sur les initiatives existantes en matière d’achat local. Cette étude s’inscrivait dans le cadre de l’initiative «Propulser nos manufacturiers d’ici». La conclusion: une certification pour les produits manufacturiers québécois pourrait être une bonne idée. La prochaine étape sera déterminée en fonction des priorités du gouvernement Legault et du ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI). Priorités qui n’ont pas encore été déterminées au moment de mettre sous presse. Voici ce que le bureau du MEI a tenu à préciser à Les Affaires: «La première phase de l’étude, qui comprend des recommandations, ne représente pas nécessairement la position officielle et finale du MEI dans ce dossier.»

Il y a achat local… et achat local

Le secteur mondial de l’alimentation propose 450 certifications aux consommateurs, souligne le professeur de marketing Jordan LeBel, de l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia. Et on ne parle que d’un secteur ! On s’en doute, le spectre des règles entourant chaque certification est vaste. Cela donne lieu à de sérieux casse-têtes.

Examinons le critère du périmètre couvert. Certaines certifications optent pour un périmètre géographique, mesuré en kilomètres. D’autres choisissent un périmètre administratif : région, État, province. Prenons un producteur manufacturier de l’Estrie qui s’approvisionne à 40 kilomètres de son usine chez un fournisseur du Vermont, et son concurrent, qui achète sa matière première à des milliers de kilomètres, au nord du Québec. Lequel des deux achète «local» ?

«Fabriqué au», «Conçu au», «Dessiné au», «Assemblé au»… Concernant l’appellation elle-même, la nuance est également reine. Ainsi, «Aliments du Québec» (composé au minimum à 85 % d’aliments d’origine québécoise) cohabite avec «Aliments préparés au Québec» (produit entièrement transformé et emballé au Québec ; lorsque les ingrédients principaux sont disponibles au Québec en quantité suffisante, ils doivent être utilisés). Les experts interviewés estiment ces nuances nécessaires, car certaines chaînes d’approvisionnement sont complexes. Des règles trop strictes pourraient inciter des entreprises à bouder la certification. Par contre, un manque de rigueur nuit à la crédibilité du label. D’ailleurs, les créateurs du programme «Bien fait ici» ont instauré une ligne de dénonciation anonyme pour signaler les informations erronées ou incomplètes relatives à un produit. Le numéro est bien visible sur le site.

Réglementé ou pas ?

En matière de label, il existe une différence entre une politique et des lignes directrices. Au Québec, seul le secteur alimentaire est soumis à une politique spécifique par l’entremise de la Loi sur les appellations réservées et les termes valorisants. Ces appellations sont accordées en fonction du type de production (production biologique, par exemple), du territoire ou d’une spécificité. Ainsi, en novembre 2018, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) a accordé l’appellation IGP (indication géographique protégée) aux vins du Québec. L’IGP se retrouve sous l’approbation du gouvernement; c’est reconnu par le gouvernement qui la délivre et par les accords internationaux.

Au Canada, c’est le Bureau de la concurrence qui veille sur les certifications et appellations en tous genres. Il n’y a pas de loi, simplement des lignes directrices liées à l’étiquetage. L’étiquette «Produit du Canada» devrait être posée sur un article dont la dernière transformation substantielle doit avoir eu lieu au Canada et dont au moins 98 % des coûts directs de production ou de fabrication ont été engagés au Canada. Pour l’étiquette «Fait au Canada», la dernière transformation substantielle doit aussi avoir eu lieu au Canada et au moins 51 % des coûts directs, avoir été engagés au Canada. Toutefois, on peut nuancer en indiquant «Fait au Canada avec des composants importés» ou «Fait au Canada avec des composants importés et canadiens».

Attention à la fatigue du logo…

Des appellations, il n’en manque pas. «On commence à évoquer la fatigue du logo, constate le professeur LeBel. Cela atteint un point tel que le consommateur s’en remet désormais au dernier maillon de la chaîne, le détaillant, pour s’y retrouver. On compte sur le détaillant pour garantir l’intégrité d’un label et mettre en évidence les produits de telle sorte qu’ils sont faciles à repérer.»

Ce n’est plus le logo que le consommateur cherche, c’est l’allée identifiée «Produits du Québec». «C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose», poursuit M. LeBel. Les détaillants ont les moyens d’investir dans la valorisation des produits locaux. Ils ont aussi un contact direct avec les consommateurs. De là à les tenir imputables des appellations de leurs fournisseurs, il y a tout de même un pas», prévient l’expert en marketing.

Malgré tout, les partenariats demeurent un facteur-clé du succès de l’achat local. Le professeur Durif cite le programme «Le meilleur d’ici», lancé par le mégadétaillant français Casino. Cette campagne en magasin a associé à chaque aliment local des photos du producteur. «Ce fut un grand succès. La puissance des moyens de Casino combinée aux histoires authentiques des producteurs a résonné.»

Il poursuit : «La consommation locale doit raccourcir le circuit. Si un gros joueur se trouve entre le producteur et le consommateur, il doit mettre de l’avant celui qui se trouve derrière les produits qu’il vend. Ce que Casino a fait dans l’alimentation, des détaillants comme Tanguay peuvent le faire pour le meuble québécois, par exemple.» M. LeBel abonde : «Walmart a donné un sérieux coup de pouce à Aliments du Québec en mettant de l’avant les aliments locaux pour faire connaître son offre de produits frais.»

Le programme «Bien fait ici», quant à lui, s’est trouvé un partenaire pas banal : la télé ! M. Darveau a imaginé une série de 13 émissions où deux équipes construisent une maison. La première n’emploie que des matériaux «Bien fait ici». La seconde, les matériaux de son choix. «Nous allons démontrer que le prix de notre maison « Bien fait ici » est plus avantageux sur 25 ans que celui de l’autre construction, à cause de la qualité des produits.» M. Darveau, qui souhaite une diffusion en 2020, est en négociation avec des diffuseurs et des commanditaires. «Évidemment, je ne veux aucun fabricant de matériaux de construction parmi ceux-ci, c’est une question de crédibilité.»

Les créateurs du répertoire «Signé local», Vanessa Lachance et Maxime Tremblay, ont opté pour un partenariat… avec eux-mêmes. «Signé local» a débuté en 2015 comme un répertoire numérique de produits fabriqués au Québec. On y trouve 450 fabricants qui représentent des secteurs aussi variés que l’alimentation, la beauté, la mode, le sport et la technologie. En juillet 2017, les associés inaugurent une boutique «Signé local» au Quartier Dix30. Ils deviennent ainsi leur propre partenaire de distribution et de visibilité. La boutique vend 150 des 450 produits retrouvés dans le répertoire. Un collant «Signé local» est offert aux 450 fabricants membres. On les incite à l’afficher pour se faire reconnaître. «Nous avons exploré la possibilité de créer une certification « Signé local », confie Mme Lachance. Nous avons rencontré notre député provincial ainsi que des représentants de tables de développement local. Nous n’avons pas obtenu de réponse. Notre projet n’entre dans aucun cadre précis pour une subvention. Nous sommes une association sans être un OBNL et nous ne sommes pas un manufacturier […] Une certification serait utile pour que l’on puisse reconnaître les produits « Signé local » lorsqu’ils se trouvent dans un autre lieu physique que notre boutique. Pour l’instant, l’investissement est trop important. Nous nous concentrons sur le répertoire et les services aux membres.»

No logo ?

Il y a ceux qui aimeraient bien créer une certification, mais qui optent pour une stratégie plus adaptée à leurs moyens, comme «Signé local». D’autres ont les moyens de souscrire à toutes les certifications, mais ils n’en choisissent aucune. «J’ai demandé à un chocolatier pourquoi certaines de ses barres de chocolat étaient bio et d’autres pas, raconte le professeur LeBel. Il m’a répondu qu’elles le sont toutes. Toutefois, il n’appose pas la certification sur toutes, car il souhaite que le consommateur choisisse son chocolat sur la base de son logo, et non de celui d’un organisme de certification.»

Selon M. LeBel, «c’est une stratégie qui se défend. Les marques les plus futées ne s’en remettent pas uniquement à un logo accordé par un tiers. Elles combinent un label avec une action sur le terrain et une communication autonome avec leur clientèle.»

Pour certaines organisations, le label peut être remplacé par la gouvernance. «Les marchés publics ont une mission sociale et solidaire, ce sont souvent des coopératives, explique M. Trudel, de l’AMPQ. Ce modèle de gouvernance permet aux consommateurs et aux producteurs d’être représentés au conseil et de trouver ensemble comment répondre à l’enjeu de l’achat local sans nécessairement imposer une lourdeur administrative et un cahier de charges contraignant.»

Le directeur général estime que l’AMPQ n’a pas à se substituer à ses membres et à leur imposer de «surlabellement». «Les CA de chacun des marchés publics peuvent accomplir beaucoup par leur gouvernance et exploiter le lien privilégié qu’ils ont avec leur clientèle», fait-il valoir.

Le label n’est pas la seule stratégie pour stimuler l’achat local, mais bien exploité, il peut être efficace. Les manufacturiers de produits de quincaillerie et de construction ont démarré le bal avec le programme «Bien fait ici». D’autres fabricants québécois emboîteront-ils le pas? S’inspireront-ils du succès de leurs homologues du secteur de l’alimentation ? «Avant de viser une offensive de masse, posons-nous la question suivante : qu’est-ce qui peut être fabriqué au Québec ? Pour quels produits le Québec possède-t-il une véritable capacité de fabrication locale, autant en ce qui concerne la main-d’oeuvre que les matières premières ?», répond Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec. Et que vise-t-on au juste : apposer un logo «Fait au Québec» sur un maximum de produits ou mettre en évidence les produits qui ont les retombées les plus importantes sur l’économie du Québec ?

À cela s’ajoute la question de l’information : un logo suffit-il encore ? «Nous en sommes aux étiquettes intelligentes, souligne M. Durif. Le consommateur ne veut pas savoir si c’est local, il veut carrément connaître qui est derrière le produit.» D’ailleurs, l’équipe de «Bien fait ici» souhaite une aide gouvernementale pour déployer un système de reconnaissance visuelle sur tous ses produits. À l’aide de son téléphone intelligent, le consommateur pourrait accéder à la fiche détaillée de chaque produit.

Bref, le consommateur ne veut pas le savoir, il veut le voir !