« Ça s’appelle un investissement», a laissé tomber le professeur de stratégie à HEC Montréal Louis Hébert.
L’offre d’achat des créanciers du Cirque du Soleil risque d’écarter la présence québécoise au sein de son actionnariat depuis sa fondation en 1984, mais aussi d’engendrer des pertes de plusieurs dizaines de millions de dollars à deux des plus importants investisseurs institutionnels de la province : la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et le Fonds de solidarité FTQ.
Aux yeux de certains observateurs, la débâcle de cette entreprise de divertissement vient rappeler qu’il n’est pas toujours possible de conjuguer le double mandat visant à générer des rendements tout en épaulant des sociétés québécoises.
« Ça s’appelle un investissement, a laissé tomber le professeur de stratégie à HEC Montréal Louis Hébert, au cours d’un entretien téléphonique, lundi. Il y en a qui fonctionnent et d’autres qui ne fonctionnent pas. On a vu les pour et les contre des stratégies visant à favoriser les entreprises québécoises. »
Considérée depuis vendredi dernier comme soumission d’amorce dans le cadre du processus d’enchères du Cirque, l’offre d’au moins 1,2 milliard $ US du groupe de créanciers garantis risque d’écarter le trio d’actionnaires actuels — la Caisse, le fonds texan TPG Capital et la firme chinoise Fosun — s’il ne revient pas à la charge. Celui-ci pourrait tout perdre.
Lundi, la CDPQ n’a pas voulu s’avancer sur les sommes qui étaient en jeu dans le dossier.
Dans son plus récent rapport annuel, le bas de laine des Québécois se limitait à estimer que sa participation initiale de 10 %, acquise en 2015, valait entre 50 millions $ et 100 millions $ en date du 31 décembre dernier. À cela s’ajouterait le montant investi en février pour racheter les 10 % qui appartenaient toujours au cofondateur Guy Laliberté. La Caisse avait aussi prêté 30 millions $ US à l’entreprise l’an dernier.
Déjà radié
Lorsque le Cirque s’est tourné vers la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) à la fin juin, le Fonds de solidarité FTQ n’a pas tardé à confirmer qu’il ne s’attendait pas à revoir la couleur des 30 millions $ US (comptabilisés à 39,9 millions $ CAN) prêtés l’an dernier.
Au cours d’une entrevue téléphonique avec La Presse canadienne à la fin juin, le président et chef de la direction du Fonds, Gaétan Morin, avait rappelé que le risque faisait partie de la stratégie d’investissement de l’institution.
« La question, c’est : est-ce que c’est le genre d’investissement dans lesquels ils (la Caisse et le Fonds) devaient se lancer? » s’est demandé l’expert en gouvernance et professeur à l’Université Concordia Michel Magnan, au bout du fil.
« Le Cirque est dans un secteur tributaire des dépenses discrétionnaires. Si l’économie ralentie, c’est certain que ça va planter. »
M. Magnan n’est toutefois pas allé jusqu’à critiquer les interventions financières réalisées par la Caisse et le Fonds, en soulignant qu’il était toujours « facile » d’analyser le dossier « après coup ». Le professeur a également estimé qu’il était « difficile » de juger si la CDPQ avait eu raison ou non de racheter les dernières actions de M. Laliberté en février dernier, alors que la COVID-19 avait déjà provoqué l’annulation de spectacles en Chine, où le Cirque était présent.
Conditions
La proposition des créanciers garantis fixe les conditions minimales à respecter pour le dépôt d’éventuelles offres rivales et écarte la convention d’achat initialement intervenue entre le Cirque et ses propriétaires actuels.
Elle propose de mettre jusqu’à 375 millions $ US — sans aide gouvernementale — à la disposition de la compagnie. Deux fonds totalisant 20 millions $ US seront également créés pour verser les sommes dues aux ex-travailleurs et artisans. L’entente prévoit un engagement pour le maintien du siège social du Cirque à Montréal pendant au moins cinq ans.
Alors que M. Magnan doute de cette promesse, M. Hébert, lui, a estimé que les prêteurs voulaient éviter des dispositions trop contraignantes.
« S’ils n’ont pas l’obligation de conserver le siège social à Montréal, sans doute que le prix obtenu (en cas de transaction) sera supérieur, a estimé le professeur de stratégie à HEC Montréal. Cela est peut-être perçu par certains acquéreurs comme un obstacle. C’est malheureux, mais c’est comme cela que les investisseurs financiers pensent. »
On aura jusqu’au 18 août pour soumettre une proposition rivale visant à acquérir le Cirque. Si nécessaire, les enchères auront lieu le 25 août. La transaction devrait être conclue d’ici le 30 septembre. Québecor ne fera pas partie des enchères, mais le conglomérat a néanmoins tendu la main aux créanciers. Par l’entremise de sa société Lune Rouge, M. Laliberté serait toujours en train d’analyser le dossier.