Climat: le Québec n’arrivera pas à atteindre ses cibles en 2030
François Normand|Publié le 10 février 2022Les Québécois achètent des voitures électriques. Mais, en même temps, ils continuent d’acheter des voitures à essence, de sorte qu’il a plus de véhicules sur les routes. (Photo: 123RF)
Le Québec n’arrivera pas à atteindre ses cibles climatiques en 2030 si les citoyens et les entreprises ne changent pas leurs comportements en ce qui a trait à leur consommation d’énergie, à commencer par les transports, affirme Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal.
«Dans l’état actuel des choses, c’est non. On pourrait y arriver en mettant en place des changements, mais il va falloir le faire rapidement», insiste-t-il en entrevue à Les Affaires, en marge de la publication, ce jeudi, de l’État de l’énergie au Québec, édition 2022.
Pierre-Olivier Pineau publie chaque année cette analyse avec sa collègue Johanne Whitmore, également spécialiste en énergie à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.
L’un des principaux constats du document est que la pandémie de COVID-19 n’a pas changé en profondeur nos comportements, comme plusieurs observateurs l’avaient souhaité en 2020 alors que la crise sanitaire avait bouleversé la société et l’économie.
«En somme, si 2020 avait montré que le cours des choses pouvait changer drastiquement dans les activités de la société et dans la consommation d’énergie, 2021 illustre qu’aucune modification majeure, en ce qui a trait à l’énergie, ne perdurera à la suite des bouleversements liés à la COVID-19», peut-on lire dans l’analyse de 67 pages.
Le Québec s’est doté d’une cible climatique prévoyant qu’il réduise ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990.
Or, à ce jour, la province n’arrive pas à amorcer un cycle durable de réduction de ses émissions, malgré plusieurs mesures mises en place par les entreprises et le gouvernement, comme en témoignent les statistiques les plus récentes publiées en décembre à ce sujet.
En 2019, le Québec a émis 84,32 millions de tonnes en équivalent CO2, selon l’inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre. Cela représente une augmentation de 1,28 Mt de plus comparativement à 2018 (ou une hausses de 1,5%).
Et, depuis 1990, le Québec n’a réussi à réduire ses émissions de GES d’à peine 2,7%.
En 2019, près du tiers de la consommation totale d’énergie au Québec, soit environ 562 PJ, était imputable au secteur des transports. (Source: HEC Montréal, État de l’énergie au Québec)
Pour illustrer la problématique qui afflige le Québec, Pierre-Olivier Pineau donne la métaphore d’un consommateur qui achète un nouveau réfrigérateur écoénergétique, mais qui transfère son vieux frigo dans le sous-sol pour stocker des aliments.
Certes, les Québécois achètent des voitures électriques. Mais, en même temps, ils continuent d’acheter des voitures à essence, de sorte qu’il a plus de véhicules en circulation.
«On n’a pas de décroissance du nombre de véhicules à essence sur les routes québécoises», déplore le spécialiste en énergie.
Trois mesures pour tenter de corriger le tir
Questionné sur les virages à faire pour tenter de renverser cette tendance et espérer atteindre les cibles climatiques en 2030, Pierre-Olivier Pineau propose trois mesures qui nécessitent des changements de cap majeur.
Il propose d’abord de réduire le nombre de camions lourds sur les routes du Québec, en faisant davantage appel au transport ferroviaire pour le transport de marchandises/denrées, par exemple dans l’axe Montréal-Québec-Rimouski.
«Lorsqu’on met une remorque de camion sur un train, on réduit les GES de 90%», insiste-t-il, en précisant que cette stratégie pourrait aussi permettre de réduire la pression de la pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie du camionnage.
Si cette stratégie nécessite une planification intermodale, elle ne requiert pas une révolution technologique, souligne Pierre-Olivier Pineau.
Du reste, la Suisse a déjà ce type de politique intermodale. Le pays pénalise fiscalement le transport par camion lourd, de sorte que les transporteurs préfèrent utiliser le rail pour traverser le pays.
Par ailleurs, pour les consommateurs, le spécialiste en énergie propose d’imposer une «taxe kilométrique» qui tiendrait compte du poids des véhicules, de leur lieu d’usage et de l’heure à laquelle ils sont utilisés — à l’aide d’une application de géolocalisation sur nos téléphones intelligents.
À yeux, cette approche permettrait de ne pas pénaliser les modes de vie acceptable, par exemple le fait d’utiliser une camionnette en région pour aller travailler, où l’offre de transport en commun est beaucoup moins grande.
En revanche, si un consommateur utilise un gros véhicule, à Montréal, à l’heure de pointe, eh bien, ce comportement serait taxé par l’entremise d’une facture mensuelle envoyée à l’automobiliste.
Enfin, pour réduire davantage les GES, Pierre-Olivier Pineau estime que le Québec doit se doter de programmes d’efficacité énergétique beaucoup plus ambitieux afin de réduire les émissions des bâtiments qui ne se chauffent pas à l’électricité.