«Si on ne s'adapte pas, on ne peut plus vivre ici.»
l y a encore quelques années, Willard Church Jr. devait creuser parfois plus d’un mètre dans la glace jusqu’à la fin avril pour pouvoir pêcher dans le fleuve Kanektok, qui coule près de chez lui, à Quinhagak, en Alaska.
Mais depuis quelque temps, le cours d’eau est à peine gelé au printemps, signe bien tangible du réchauffement climatique qui touche l’Etat américain et contraint ses habitants, pour beaucoup des autochtones vivant des ressources de la nature, à changer leur mode de vie traditionnel.
«J’ai passé ma vie entière à suivre ce mode de subsistance (…), avec des expéditions de chasse et de pêche de dix jours dans les montagnes», expliquait ainsi M. Church, Esquimau Yupik de 55 ans, en faisant visiter récemment à l’AFP son petit village de 700 habitants, perdu entre la mer de Bering et la baie de Kuskokwim.
«On a grandi à une époque où l’hiver était un véritable hiver, où nos anciens se souvenaient de congères aussi hautes que le toit des maisons. Aujourd’hui, on s’estime heureux si on a même 1,5 cm de neige sur le sol», se désole-t-il.
Les autochtones d’Alaska –environ 120.000 personnes réparties dans 230 communautés rurales et quelques petites villes régionales– se retrouvent au coeur d’une crise climatique qui bouscule leurs habitudes ancestrales.
Selon les scientifiques, l’Alaska, comme le reste de la zone arctique, subit un réchauffement deux fois plus rapide que la moyenne du globe, et les températures en février et mars ont encore battu cette année des records de douceur.
Débâcle
Pour M. Church et sa communauté, la disparition de la glace et de la neige est lourde de conséquences, avec un impact direct sur les sources de nourriture et la vie quotidienne.
Les cours d’eau gelés qui servent ordinairement de routes en hiver et au printemps, reliant entre eux les villages et permettant la circulation des marchandises, connaissent désormais une débâcle précoce.
Rien que cette année, au moins cinq personnes, dont un villageois de Quinhagak, ont trouvé la mort lorsque leur motoneige ou véhicule tout-terrain a traversé une couche de glace trop mince.
«En ce moment, ça devrait être recouvert de neige, et on devrait se déplacer à l’aide de véhicules à chenilles», relève Warren Jones, responsable de Quinhagak, en observant la toundra humide et spongieuse qui entoure le village.
«Il devrait y avoir de la glace là-bas», ajoute-t-il, pointant le doigt vers la mer de Bering, à l’ouest. «Lorsque l’on part à la chasse aux phoques, on prend nos motoneiges et nos bateaux et ont doit parcourir environ 5 km avant d’arriver à l’eau».
«Mais là, vous pouvez voir qu’il n’y a pas de glace du tout», lâche-t-il.
Les chasseurs sont donc obligés de prendre davantage de risques pour sortir en mer, dans des conditions parfois dangereuses, afin de trouver leur gibier.
Sur terre, le permafrost, couche de sol en théorie gelé tout au long de l’année, qui représente jusqu’à 85% de la surface de l’Alaska, est aussi en train de fondre inexorablement. Cela fragilise les bâtiments, bouleverse l’habitat de nombreuses espèces animales et même le ramassage saisonnier des baies poussant sur la toundra.
Un peuple résilient
«Ici, les autochtones ont recours à la nature comme source d’alimentation principale: les baies, les plantes, les oiseaux, les poissons, les animaux terrestres et les mammifères marins», explique M. Church.
«Nous n’avons pas une culture agricole, nous sommes encore des chasseurs-cueilleurs», souligne-t-il.
Pour les anciens du village, comme Annie Cleveland, 78 ans, la hausse des températures est tout bonnement en train de transformer les traditions séculaires qui définissent les autochtones d’Alaska.
«Tout change et je m’inquiète pour l’avenir. Nous avions l’habitude de nous déplacer avec des chiens de traîneau, on remontait le fleuve pour camper et pêcher tout l’été… Mais tout ça est en train de changer à cause du climat», soupire-t-elle.
Malgré ces perspectives sombres, la plupart des habitants interrogés par l’AFP à Quinhagak ou dans d’autres communautés d’Alaska semblent avoir confiance dans la capacité des tribus à surmonter ces bouleversements.
«Si on ne s’adapte pas, on ne peut pas vivre ici», tranche le leader du village, Warren Jones. «Notre peuple, le peuple yupik, a l’habitude de s’adapter. Nous l’avons fait au fil des siècles pour faire avec ce que Mère Nature nous donnait».