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Philippe Leblanc

Entre les lignes

Philippe Leblanc

Expert(e) invité(e)

Comment calculer la valeur intrinsèque d’une société (partie 2)

Philippe Leblanc|Publié le 26 avril 2019

Comment calculer la valeur intrinsèque d’une société (partie 2)

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. La semaine passée, j’ai commencé à répondre à la question d’un lecteur concernant le calcul de la valeur intrinsèque d’une entreprise.

Comme je l’ai mentionné, pour évaluer une entreprise, il est à mon avis préférable de garder les choses aussi simples que possible. Les modèles d’évaluation complexes donnent le sentiment qu’on arrive à une évaluation plus précise, mais c’est un leurre. L’évaluation d’une entreprise est essentiellement fonction d’hypothèses et de prévisions des flux de trésorerie futurs qui sont très difficiles, voire impossibles, à prédire avec exactitude. Dans ces conditions, mieux vaut avoir approximativement raison que précisément tort!

Ainsi, je préconise simplement l’application d’un multiple raisonnable aux bénéfices courants ou prévus d’une entreprise. Par exemple, si une société réalise présentement des bénéfices par action de 1,00$ et l’on estime que son ratio cours-bénéfices devrait avoisiner 20,0, sa valeur intrinsèque estimée serait de 20$.

Quel multiple appliquer?

Une telle méthode d’évaluation est simple, mais non simpliste. L’investisseur devra appliquer un ratio cours-bénéfices pertinent à une entreprise, ce qui n’est pas toujours une évidence. Voyons comment il pourrait s’y prendre.

À mon avis, la première étape consiste à analyser l’entreprise visée et à se faire une bonne idée de sa qualité. Quel est son niveau de rentabilité? Quel est son historique de croissance? Ses activités sont-elles cycliques? Quel est le niveau de risque? La société est-elle très endettée ou jouit-elle d’une excellente santé financière? Quelles sont ses perspectives de croissance? Son modèle d’affaires est-il protégé par des barrières à l’entrée élevées? Ses dirigeants sont-ils à la barre depuis longtemps? Sont-ils eux-mêmes actionnaires?

Voilà quelques-unes des questions auxquelles un investisseur devra trouver réponse avant de se faire une idée de la valeur d’une entreprise.

La croissance d’une entreprise est un facteur particulièrement important, surtout sa croissance future. Une règle pratique et approximative est que le ratio cours-bénéfices d’une entreprise devrait approcher le taux de croissance de ses bénéfices. Selon cette règle, une entreprise réalisant une croissance annuelle composée de ses bénéfices de 20% mériterait un ratio cours-bénéfices de 20,0. Celle dont la croissance est de 5% mériterait un ratio de 5,0. Il s’agit là d’une règle très approximative, mais elle donne à tout le moins une indication quant à l’évaluation d’un titre.

Une autre considération est le stade de croissance d’une entreprise. Une entreprise en démarrage recèle un plus fort potentiel de croissance qu’une entreprise mature ou en déclin.

Une fois qu’il ou elle se sera forgé une bonne idée de la qualité de l’entreprise étudiée, l’investisseur sera en mesure d’attribuer un multiple d’évaluation aux bénéfices courants ou prévus. Il y a à mon avis au moins trois points de repère qui permettent d’estimer un tel ratio: le multiple d’évaluation du marché dans son ensemble, les multiples d’évaluation passés d’une société et les ratios qu’obtiennent des sociétés semblables.

Pour le multiple d’évaluation du marché boursier, je considère que l’indice S&P 500 est le plus représentatif du marché boursier nord-américain car il est mieux diversifié que les autres indices; il comporte notamment beaucoup moins de titres de ressources naturelles que le S&P/TSX canadien. Or, cet indice s’échange présentement à environ 17,5 fois les bénéfices prévus par Standard & Poors en 2019 (lien).

On peut se servir de ce ratio comme standard d’évaluation. En règle générale, si vous considérez que l’entreprise que vous évaluez est de qualité à peu près équivalente à l’ensemble des entreprises du marché, un ratio d’évaluation de 17,5 pourrait être approprié. Si vous croyez plutôt qu’elle est de meilleure qualité, une prime au marché pourrait lui être appliquée, un ratio de 20,0, par exemple. Enfin, pour une société que vous considérerez de qualité moindre que la moyenne, un ratio inférieur à 17,5 sera le point de départ.

Vous pouvez également comparer le ratio cours-bénéfices prévus actuel d’une société aux ratios qu’elle a obtenus dans le passé. Si, par exemple, le titre s’est traditionnellement vendu à environ 20 fois les bénéfices et que le ratio est présentement de 18, peut-être est-ce une occasion intéressante…

Enfin, vous pouvez comparer le ratio cours-bénéfices prévus de la société que vous analysez à ceux de sociétés de son secteur. Évidemment, il faut s’assurer que les sociétés que vous comparez sont réellement comparables. Leurs modèles d’affaires sont-ils similaires ou très différents? Il faut également tenir compte des différences au niveau des bilans des sociétés comparées. Une entreprise très endettée méritera généralement un ratio d’évaluation moindre que celle qui n’a pas de dette, même si leurs activités sont similaires.

On peut également se faire une idée de l’évaluation potentielle de sociétés d’un secteur en examinant des transactions récentes concernant des sociétés semblables.

Une telle méthode d’évaluation est simple, sans être simpliste. La réalité est plus complexe et il n’est pas toujours possible d’appliquer un ratio cours-bénéfices à une société, par exemple dans le cas d’entreprises qui ne font pas encore de bénéfices. Mais comme je l’ai dit au départ, il n’est pas nécessaire de savoir évaluer toutes les entreprises. Un investisseur devrait s’en tenir aux entreprises qu’il comprend bien et qu’il est à l’aise d’évaluer.

Suite et fin de ce blogue la semaine prochaine où je présenterai un exemple concret d’évaluation d’un titre boursier.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA