Le marché locatif déjà effervescent du Canada devrait subir encore plus de pression en 2023. (Photo: La Presse Canadienne)
Calgary — Alors que le marché locatif déjà effervescent du Canada devrait subir encore plus de pression en 2023, les experts conseillent aux locataires de se prémunir contre la «rénoviction» en se renseignant sur leurs droits.
Le terme «rénoviction» est utilisé pour décrire une situation dans laquelle un propriétaire utilise le besoin de rénovations majeures comme raison d’une expulsion. Alors que la plupart des juridictions canadiennes ont mis en place des règles pour protéger les locataires — comme limiter les types de réparations qui justifient leur déménagement ou préciser le délai de préavis qu’un propriétaire doit donner — les défenseurs des locataires affirment que la pratique se produit encore régulièrement.
Par exemple, un récent rapport de l’Advocacy Centre for Tenants (ACTO) de l’Ontario a révélé qu’il y a eu une augmentation de 294% des demandes d’expulsion de locataires pour des rénovations ou des conversions à la Commission de la location immobilière de la province depuis 2015-2016.
Douglas Kwan, directeur des services de défense et des services juridiques de l’ACTO, a déclaré qu’il assistait également à une augmentation des expulsions pour usage personnel, c’est-à-dire un propriétaire qui prétend devoir reprendre une unité afin que lui-même ou un membre de la famille puisse y emménager.
Ces deux pratiques, a indiqué M. Kwan, sont parfois utilisées par les propriétaires pour se débarrasser des locataires existants afin qu’ils puissent louer des appartements à de nouveaux locataires à un prix beaucoup plus élevé.
«Nous voyons tous les types de situations dans lesquelles les propriétaires cherchent à mettre fin à la location pour profiter du marché, a observé M. Kwan. Ces cas augmentent.»
Selon un rapport de novembre de Rentals.ca, les loyers moyens au Canada ont augmenté de 10,5% en 2022, par rapport à la moyenne prépandémique de novembre 2019.
Dans les marchés les plus chers au Canada, à Vancouver et à Toronto, les loyers ont augmenté d’environ 24% au cours des 12 derniers mois seulement, selon le même rapport. À Ottawa, la hausse est de 13,7% et à Montréal, de 7,6%.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement a averti plus tôt cet automne qu’elle prévoyait une pression accrue sur les marchés locatifs en 2023, car la hausse des taux d’intérêt mettrait l’accession à la propriété hors de portée pour un plus grand nombre de Canadiens.
Cela pourrait signifier que davantage de personnes se retrouveront dans une situation similaire à Jonathan Roth, un résident de Vancouver qui s’est retrouvé face à un avis d’expulsion en mai de cette année, pour son appartement dans lequel il vivait depuis 2017.
«C’était difficile», a témoigné M. Roth, qui a rapporté que l’immeuble dans lequel il vivait avait été acheté par de nouveaux propriétaires, qui, un mois plus tard, ont indiqué qu’ils voulaient que tout le monde quitte pour des rénovations.
M. Roth a admis qu’il avait de la chance, car les propriétaires offraient à chacun six mois de loyer pour sortir dans les 30 jours. En vertu de la loi de la Colombie-Britannique, les propriétaires doivent offrir aux locataires «rénovictés» un mois de loyer.
«Je pense qu’ils voulaient juste que nous sortions sans maux de tête, a-t-il déclaré. Juste en faisant une recherche sur Google, il semble que les appartements dans cet immeuble coûtent maintenant 2700$ par mois, soit environ 1000$ de plus que ce que je payais.»
Kayla Andrade, fondatrice d’Ontario Landlords Watch — un groupe qui défend les intérêts des petits propriétaires de la province — nie que les «rénovictions» se produisent en grand nombre.
Cependant, elle croit que les politiques de contrôle des loyers dans des provinces comme l’Ontario réduisent le parc immobilier global et conduisent indirectement à certaines expulsions.
«Les propriétaires voient toutes leurs dépenses augmenter et ils n’ont aucun moyen de hausser le loyer», a plaidé Mme Andrade.
«Certains propriétaires quittent complètement l’industrie et reprennent les logements. Nous assistons donc à des expulsions pour usage personnel.»
Dans la plupart des juridictions, les propriétaires doivent obtenir l’autorisation de la Commission de la location immobilière avant de pouvoir expulser des locataires à des fins de rénovation.
Cependant, de nombreux locataires ne le savent peut-être pas et déménagent dès qu’un propriétaire le leur demande.
«Je pense que beaucoup de locataires s’en vont, parce que lutter contre cela est trop difficile», a rapporté Lesli Boldt, qui a été expulsée en 2018 de l’appartement de Vancouver dans lequel elle vivait depuis plus d’une décennie.
Mme Boldt, qui s’est présentée au conseil municipal en 2022 en partie à cause de cette expérience, a raconté qu’elle n’était pas en mesure de prouver que ce qui s’était passé dans son cas était une «rénoviction», puisque son propriétaire lui avait dit qu’un membre de la famille avait besoin de l’unité.
«Ce que je sais, c’est que j’ai perdu ma maison de 13 ans, a-t-elle déclaré. Je conseillerais donc aux gens de connaître quels sont vos droits avant d’être expulsé… Soyez très clair sur le type de contrat de location que vous signez et documentez vos communications avec votre propriétaire.»
M. Kwan, de l’ACTO, a rappelé qu’il y a des choses que les locataires peuvent faire pour se protéger, dont la plus importante est de connaître les règles qui s’appliquent dans la ville et la province où ils habitent.
«Si vous recevez une lettre ou un avis indiquant que votre propriétaire a l’intention de vous expulser, obtenez des conseils juridiques», a recommandé M. Kwan.
«Assurez-vous d’avoir les bonnes informations avant de passer à l’étape suivante, car parfois cet avis n’est pas conforme à la loi et ce propriétaire n’a peut-être pas le droit de vous expulser.»
Les locataires peuvent également travailler de manière proactive pour établir une bonne relation avec leur propriétaire actuel, a ajouté M. Kwan, en étant propres, courtois et en payant le loyer à temps.
Cependant, du point de vue de M. Kwan, il est peu probable que les «rénovictions», les expulsions pour usage personnel et d’autres pratiques similaires des propriétaires disparaissent tant que les gouvernements ne feront pas davantage pour résoudre la crise du logement abordable au Canada.
«Il n’y a pas assez d’offres de logements locatifs en Ontario, comme partout ailleurs, a conclu M. Kwan. Ce dont les locataires ont vraiment besoin en ce moment, c’est que les gouvernements engagent des fonds pour fournir de véritables logements abordables.»