Plus le Canada attend avant de choisir un nouveau programme d’avions militaires, moins il est facile d’intégrer de sous−traitants canadiens à sa chaîne de production, explique le président et chef de la direction d’Héroux−Devtek, Martin Brassard. (Photo: La Presse Canadienne)
Les tergiversations du gouvernement fédéral dans l’octroi de contrats dans le secteur de la défense nuisent aux fournisseurs de l’industrie aérospatiale canadienne, dénonce le président et chef de la direction d’Héroux−Devtek, Martin Brassard.
Plus le Canada attend avant de choisir un nouveau programme d’avions militaires, moins il est facile d’intégrer de sous−traitants canadiens à sa chaîne de production, explique M. Brassard, en entrevue, vendredi, en marge du dévoilement des résultats trimestriels de l’entreprise.
«Plus on va vite dans le processus, plus ça augmente nos chances d’être sur des plateformes importantes et de collaborer avec des compagnies américaines et d’avoir notre portion dans le budget de la défense américaine.»
Le marché de la défense américain représente un potentiel énorme pour les sous−traitants canadiens. Le budget de la défense aux États−Unis est près de 30 fois celui du Canada.
«Le marché américain de la défense, c’est 900 milliards de dollars américains annuellement. Si on additionne les dix pays qui suivent, on arrive à 900 G$US. C’est un marché immense.»
M. Brassard donne l’exemple du temps qu’a pris le fédéral avant de choisir l’avion furtif F−35, pour remplacer la vieille flotte des CF−18. Le fédéral a confirmé une commande de 88 appareils en janvier pour un montant de 19 G$. «On a perdu des opportunités dans le F−35. Ça a duré 15 ans. C’est long ça!»
Héroux−Devtek fabrique le système de verrouillage des portes du train d’atterrissage du F−35. La société de Longueuil aimerait aussi obtenir des contrats d’entretien, mais la décision tardive du fédéral lui complique la tâche.
«Les autres pays ont positionné leur industrie dans des secteurs critiques. (…) Ben là, c’est difficile de déloger quelqu’un. Nos gens essaient de nous représenter, de casser ça, mais on arrive en retard.»
Pas d’appui à Bombardier
M. Brassard n’est pas le seul homme d’affaires de l’industrie aéronautique québécoise à critiquer le fédéral. Depuis des mois, le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, tente de convaincre le gouvernement Trudeau de lancer un appel d’offres pour le remplacement des aéronefs de patrouille CP−140, plutôt que de confier le contrat directement à Boeing.
Le patron de Bombardier a déclaré au Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes, cette semaine, que le processus d’approvisionnement était «profondément défectueux et manquait de transparence». Les premiers ministres du Québec et de l’Ontario ont, eux aussi, demandé conjointement au fédéral de lancer un appel d’offres.
Pour sa part, M. Brassard s’inquiète de voir le dossier du remplacement des CP−140 devenir politisé et traîner en longueur. Boeing, qui est pressenti comme le favori du fédéral pour ce contrat, est un important donneur d’ordres d’Héroux−Devtek.
Il ne va pas jusqu’à demander qu’on ne fasse pas d’appel d’offres, mais il estime que le ministère de la Défense nationale a l’expertise nécessaire pour juger si cela est nécessaire ou non. «Ils ont pris une décision. Ils ont sûrement analysé les besoins, les requis. Nous, notre job, ce n’est pas de leur dire de quoi ils ont de besoin.»
Perturbations de la chaîne d’approvisionnement
Héroux−Devtek a dévoilé, plus tôt vendredi, ses résultats du deuxième trimestre clos le 30 septembre.
Au cours de cette période, les ventes du secteur civil ont connu une forte hausse de 29,8% pour s’établir à 53,6 millions de dollars (M$), mais les ventes du segment de marché de la défense ont diminué de 3,8% pour s’établir à 87,8 M$.
Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement ont entraîné des retards de livraison dans le cadre du programme visant les F−18 de Boeing en raison des perturbations de la chaîne. «Quand il manque une pièce ou deux pièces, bien on a presque terminé l’assemblage, mais on ne peut pas la destiner aux clients.»
Pour s’ajuster aux difficultés des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, Héroux−Devtek a accumulé plus de stocks excédentaires. «On a beaucoup de pièces. On a à peu près 50 millions de trop d’inventaires, mais on investit. On sait que ça les prend parce qu’on a les commandes.»
L’analyste Cameron Doerksen, de Financière Banque Nationale, croit que les pressions sur la chaîne d’approvisionnement s’amenuisent, même si la logistique demeure un défi. «Nous pensons que les marges d’Héroux−Devtek reviendront à leur seuil historique d’ici deux ans.»
La société a dévoilé un bénéfice net de 4,6 M$, comparativement à 4,8 M$ à la même période l’an dernier. Le bénéfice ajusté dilué par action s’établit à 14 cents. Les revenus, pour leur part, augmentent de 6,6% pour s’établir à 141,5 M$.
Avant la publication des résultats, les analystes anticipaient un bénéfice par action de 14 cents et des revenus de 146,2 M$, selon la firme de données financières Refinitiv.
L’action d’Héroux−Devtek gagne 7 cents, ou 0,46%, à 15,22 $ à la Bourse de Toronto en après−midi.
Stéphane Rolland, La Presse Canadienne