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Copropriété: dans les petits pots, les mauvais onguents?

La Presse Canadienne|Publié le 11 février 2024

Copropriété: dans les petits pots, les mauvais onguents?

(Photo: La Presse Canadienne)

«C’est trop cher.» «Il faut chercher le plus bas coût possible.» «Je connais quelqu’un qui va s’en occuper.» 

À (re)lire: Lettre aux fidèles de la copropriété du Québec

Si ces mots sont prononcés trop souvent par les administrateurs entre les murs d’une copropriété divise, c’est mauvais signe, selon une étude sur la gouvernance des petites copropriétés. 

L’étude, publiée à l’automne 2023, a permis de conclure que l’achat d’une unité dans une copropriété de petite taille représente un risque «asymétrique personnel et financier» pour les acheteurs potentiels. 

L’étude a été réalisée par Micheline Renault, professeure au département des sciences comptables à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et l’agent de recherche spécialiste en statistique appliquée Patrick Coulombe.

 

Charge admninistrative 

Les petites copropriétés divises, soient celles composées de 21 unités ou moins, sont légion au Québec: on dénote 90% des immeubles en copropriété de cette taille à travers la province. Or, leur gouvernance est loin d’être facile, selon Micheline Renault, et un facteur est pointé du doigt: le conseil d’administration (CA). 

55% des répondants d’un sondage auprès de 325 copropriétaires de petites copropriétés divises qualifient leur administration de moins structurée. Les répondants ont identifié plusieurs problèmes dans leur environnement et une corrélation a été établie entre cinq de ceux-ci et le profil des CA, explique Micheline Renault. Les problèmes de la répartition des coûts, du bruit et des relations entre copropriétaires et administrateurs sont parmi les problèmes cités. 

Dans l’étude, on dénote que les grandes propriétés jouissent d’une «équipe professionnelle de gestion (qui) assume la stabilité dans l’administration et agit en intermédiaire entre les administrateurs et l’ensemble des copropriétaires». 

Tout le contraire de la situation dans les plus petites copropriétés, où la charge administrative repose sur les copropriétaires, qui peuvent développer des relations personnalisées. 

«[Au sein de celles-ci], les administrateurs étaient en place depuis de très nombreuses années, ne suivaient pas la déclaration de copropriété et ne suivaient pas de formation, détaille la professeure titulaire. Sur six ou sept (personnes), c’est facile d’avoir une prise de contrôle sur le CA.» 

La déclaration de copropriété, soit la convention qui réglemente l’utilisation et la vie commune des copropriétaires d’une copropriété, varie d’immeuble en immeuble et n’est pas toujours respectée.

 

La «grande illusion» 

François Desrosiers, professeur à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, n’est pas surpris des résultats de cette étude. 

«Là où le bât blesse, c’est dans toute la gestion non-professionnelle des copropriétés et le fait qu’il y a beaucoup d’individus qui ont des conflits d’intérêts ou qui alimentent les chicanes internes, ajoute François Des Rosiers. Il n’y a pas de loi pour empêcher la mauvaise foi à l’intérieur d’un groupe comme ça.» 

M. Des Rosiers a coprésidé le comité consultatif sur la copropriété qui a rédigé un rapport pour le ministère de la Justice en 2012, faisant état des problématiques liées à ce type de logement. Une série de recommandations a été formulée et des Journées de consultation sur la copropriété ont eu lieu à Québec et à Montréal, auxquelles plus d’une centaine de personnes ont pris part. 

Pour Mme Renault, il ne fait aucun doute que devenir copropriétaire d’une petite copropriété est beaucoup plus compliqué que d’acheter une maison. «Quand vous achetez une maison, vous achetez un immeuble où vous êtes tout seul. C’est vous qui décidez. Une copropriété, c’est un lieu commun où de parfaits inconnus, du jour au lendemain, doivent vivre ensemble.» 

Elle qualifie de «grande illusion» la pensée que de vendre une maison pour devenir copropriétaire d’une petite copropriété, c’est choisir de vivre avec moins de responsabilités. «Je pose la question: est-ce que je laisserais mes voisins gérer mon régime de retraite? Probablement pas», image Mme Renault.

 

Quels recours? 

Pour diminuer les risques de conflits, il est important de faire vérifier sa déclaration de copropriété par un avocat, selon Mme Renault. «Certaines personnes ne la lisent même pas», déplore-t-elle. 

Lorsqu’un problème survient, la médiation peut être utilisée si les deux parties le souhaitent. Sinon, des voies légales peuvent être choisies. «Mais on s’engage dans une avenue où on ne sait pas comment ça va coûter ni combien de temps ça va durer», prévient la chercheuse. 

Celle-ci espère que des solutions abordables et rapides seront proposées aux copropriétaires de la province, dans l’espoir de résoudre des conflits qui «empoisonnent la vie de tout le monde». 

Elle cite en exemple le Tribunal de l’autorité du secteur des condominiums, en Ontario, qui permet aux gens de soumettre leur demande en ligne. Selon elle, le coût demeure abordable et le jugement est rendu en quelques semaines. 

Pour François Des Rosiers, les personnes qui songent à acheter une unité en copropriété doivent réaliser qu’elles ne seront plus des locataires. 

«Une des solutions à mon avis, pour un syndicat de copropriété, c’est de déléguer une partie des problèmes des aspects de gestion à une firme spécialisée, qui s’occupe des réunions et de régler les conflits en les désamorçant au lieu de les faire perdurer», estime-t-il.

 

Par Laurie Trottier, La Presse Canadienne