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Coronavirus: l’administration Trump ment-elle aux Américains?

L'économie en version corsée|Publié le 06 mars 2020

Coronavirus: l’administration Trump ment-elle aux Américains?

Donald Trump a confié l'épineux dossier à Mike Pence. (Photo: Getty Images)

CHRONIQUE. Duncan Stewart est directeur de recherche chez Deloitte Canada. Passionné de statistique et de biotechnologie, il s’est tout naturellement intéressé à la pandémie mondiale du coronavirus Covid-19, qui vient de dépasser la barre symbolique des 100 000 personnes contaminées, selon les données de l’Université Johns-Hopkins.

Dans son analyse, il a commencé par compiler les chiffres officiels des 25 pays les plus touchés (outre la Chine, l’épicentre de la pandémie), puis il les a mis en perspective avec la population de ces pays-là. Sans surprise, cela lui a confirmé qu’il y avait actuellement trois foyers principaux, les trois que nous connaissons tous déjà: la Corée du Sud, l’Italie et l’Iran.

Ensuite, il a considéré la gravité du fléau dans chacun des 25 pays, c’est-à-dire le nombre de morts dûs au Covid-19 pour chaque million d’habitants. Ce qui lui a permis de voir, là encore, que les trois foyers principaux étaient bel et bien les endroits les plus dangereux sur la planète, la palme revenant à l’Italie, avec une moyenne de 2,5 morts par million d’habitants [note: les données de cette analyse sont en date du 5 mars 2020, à 18h].

Enfin, M. Stewart a poussé un peu plus loin ses recherches, et cela l’a amené à faire une drôle de découverte. Il a en effet regardé combien il y avait de personnes officiellement contaminées pour chaque million d’habitant, et un menu détail qui aurait échappé à n’importe qui d’autre lui a sauté aux yeux: la donnée concernant les États-Unis semblait «incohérente», vu que le nombre de cas n’était que de 0,48 par million, soit le plus bas de tous les pays touchés. «C’est moitié moins que le Canada, qui connaît pourtant les mêmes flux de visiteurs en provenance de Chine, de Corée du Sud et d’Italie», note-t-il, intrigué, dans son analyse.

Pour en avoir le cœur net, il a alors établi le taux de mortalité du Covid-19 pour chacun des 25 pays, soit le nombre de morts par rapport au nombre de cas de personnes officiellement contaminées. Et là, le doute n’était plus permis: avec un taux de mortalité tutoyant les 7%, les États-Unis sont l’endroit où le coronavirus se fait le plus mortel dans le monde entier; en guise de comparaison, ce même taux est deux fois moindre en Italie (proche de 4%), et il est en Iran et en Corée du Sud de respectivement 3% et de 0,75%. Ce qui est totalement anormal.

(Source: Duncan Stewart, 2020)

D’où vient cette bizarrerie? M. Stewart estime qu’il y a trois explications possibles:

1. Les Américains sont physiquement plus fragiles que les autres, et succombent donc plus que les autres. «Impossible, surtout lorsqu’on effectue une comparaison avec les Canadiens, les deux populations étant relativement similaires sur le plan de la santé et le taux de mortalité au Canada étant nul», dit-il.

2. Le système de santé américain n’est pas à la hauteur de la situation, et il ne parvient pas à sauver autant de gens que les autres pays touchés. «Impossible, une fois de plus, car ce système de santé – même s’il n’est pas parfait – n’est tout de même pas moins performant que ceux, entre autres, de l’Iran, de la Malaisie, ou encore de la Thaïlande», affirme-t-il, catégorique.

3. Les chiffres officiels communiqués par les États-Unis ne représentent pas la réalité, étant largement sous-estimés par rapport à la gravité réelle de la situation de la pandémie sur le territoire américain. «Possible», lâche-t-il, laconique.

Autrement dit, l’administration Trump ne donne pas l’heure juste concernant la pandémie de Covid-19 aux États-Unis. Il y a nettement plus de personnes contaminées que ce qu’on croyait jusqu’à présent. Selon les calculs – conservateurs – du directeur de recherche chez Deloitte, «il y a actuellement au moins 1 500 personnes contaminées de plus que ce qu’indiquent les chiffres officiels», avance-t-il.

Soyons clairs, 1 500 de plus, c’est énorme, c’est gigantesque : en ce moment-même, il y a officiellement 148 cas de contamination et 12 morts enregistrés aux États-Unis. Et le fait de ne pas tenir compte de ces personnes contaminées représente un réel danger : «La mauvaise nouvelle, c’est que le risque de propagation du coronavirus en Amérique du Nord est nettement plus élevé que ce qu’on croyait jusqu’à présent», note-t-il.

Et d’ajouter : «Je ne serais pas surpris de voir le nombre de cas confirmés progresser rapidement aux États-Unis, la semaine prochaine».

La question est aussi évidente que terrible : comment se fait-il que l’administration Trump cache ainsi la vérité à ses citoyens?

Est-ce pour éviter une panique générale, et le choc économique que cela pourrait entraîner (on a tous en mémoire les images de supermarchés pillés par les Italiens, le jour où ils ont saisi que le pays traversait une véritable crise sanitaire)? Pour empêcher un tsunami boursier (la simple annonce de la pandémie a d’ores et déjà fait chuter les Bourses)? Ou encore, pour gommer le problème, dans l’espoir que si les gens ne savent pas qu’il y a un problème, c’est comme si celui-ci n’existait tout simplement pas?

Hum… Qui sait? Seule l’administration Trump a la réponse à cette lourde interrogation. Plus précisément, le vice-président américain Mike Pence, en charge du dossier depuis le 26 février, le sait fort bien, et ne donne pas signe de vouloir le dire. N’a-t-il pas déclaré d’emblée, lors de sa prise en main du dossier de la pandémie aux États-Unis, que «le risque de contagion étendue dans le pays était très faible»?

Mais ce qui est sûr – la statistique ne trompe jamais à ce sujet –, c’est que les chiffres des États-Unis sont erronés. Grandement erronés. Tellement erronés qu’ils sont, de toute évidence, manipulés.

Une attitude périlleuse

Cela représente un double danger. D’une part, la confiance que peuvent avoir les Américains envers leur gouvernement risque d’en prendre un méchant coup; tout comme celle de ses pays voisins. D’autre part, ce mensonge – ce déni? – met en péril la santé de toute la population; tout comme celle de ses pays voisins.

Le hic? C’est que Mike Pence – un «expert» en matière de contagion, d’après Donald Trump – est connu pour avoir… aggravé des épidémies. Lorsqu’il était gouverneur de l’Indiana dans les années 2010, il a sabré dans le budget de la Santé et cela s’est traduit par un manque de dépistage et une amplification de l’épidémie du VIH dans cet État-là, selon nombre de scientifiques américains.

«Cet homme a totalement bâclé l’épidémie de VIH dans l’Indiana. Il n’est ni médecin ni scientifique. Ce n’est pas une bonne idée [de lui avoir confié le dossier du Covid-19], cela témoigne d’un manque de sérieux de la part de la Maison Blanche», a notamment tweeté l’épidémiologiste Gregg Gonsalves.

Idem, c’est le même Mike Pense qui avait déclaré, en 2000, que «malgré l’hystérie des classes politique et médiatique, fumer ne tue pas». Une déclaration publique qu’il n’a jamais jugée bon de rectifier…

Un autre point, on ne peut plus révélateur : Donald Trump a dévoilé son Budget pour 2021, quelques jours après que l’alarme aie été sonnée à l’échelle internationale concernant la pandémie du coronavirus Covid-19, et il y est prévu… une coupe drastique de 16% des fonds alloués aux Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC). L’occupant de la Maison Blanche a expliqué que ces économies étaient «nécessaires», et que, de toute façon, les personnes du CDC qui allaient en conséquence perdre leur emploi «pourraient aisément être réembauchées, au besoin».

C’est dire combien l’impact humain de la pandémie est pris à la légère par la Maison Blanche…

D’ailleurs, les propos-mêmes de Donald Trump sont, eux aussi, on ne peut plus révélateurs à ce sujet :

– Lundi, une réunion d’urgence a été organisée à la Maison Blanche, permettant aux dirigeants d’entreprises pharmaceutiques et de centres de santé d’expliquer la situation au président américain. Quand Anthony Fauci, le directeur de l’institut national des allergies et maladies infectieuses, lui a indiqué qu’il fallait environ 18 mois pour concocter un vaccin, Donald Trump l’a coupé : «Je n’aime pas ce que j’entends, a-t-il dit. Il faut que ce soit fait en un ou deux mois, au pire.» Un signe clair et net qu’il ne comprend rien – absolument rien – aux tests cliniques.

– Le lendemain, mardi, Donald Trump a tenu un discours lors d’un rassemblement politique à Charlotte, en Caroline du Nord. Triomphal, il a publiquement déclaré à ses partisans : «Un vaccin sera bientôt disponible!» Et il a ajouté : «N’écoutez pas ces mondialistes qui voudraient ouvrir grandes nos frontières, et laisser le champ libre aux infections – pensez-y bien à ça – laisser toutes les sales maladies envahir notre pays».

– Le lendemain encore, mercredi, il en a rajouté une louche lors d’une entrevue accordée à la chaîne Fox News : «L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dit que le taux de mortalité du coronavirus est de 3,4%, a-t-il dit. Ces chiffres sont faux. Mon intuition, c’est que le vrai chiffre est largement en-dessous de 1%.»

Voilà. L’administration Trump semble tellement manipuler les chiffres qu’elle ne sait plus faire la part du vrai et du faux. À force de vouloir sous-estimer l’ampleur de la pandémie sur le sol américain, elle en vient à afficher – selon les données officielles elles-mêmes – un taux de mortalité aberrant de 7% tandis que le président affirme que son intuition est que celui-ci est «largement en-dessous de 1%».

(La vérité? Selon les estimations de Duncan Stewart, le taux de mortalité réel doit avoisiner les 5% aux États-Unis.)

Bref, l’administration Trump ment aux Américains – la statistique ne se trompe jamais, je le martèle –, pis, elle s’enfonce dans ses mensonges. Ce qui est périlleux pour la santé de nos voisins du Sud, voire pour la nôtre. Ce qui est – disons le le plus simplement du monde – purement criminel.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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