Entourée d’étoffes et de machines à coudre dans son atelier «Iraqcouture» à Bagdad, l’Irakienne Alaa Adel évoque son parcours de combattante pour surmonter à la fois ses lacunes et les préjugés sur les femmes. (Photo: Getty Images)
Bagdad — Entourée d’étoffes et de machines à coudre dans son atelier «Iraqcouture» à Bagdad, l’Irakienne Alaa Adel évoque son parcours de combattante pour surmonter à la fois ses lacunes et les préjugés sur les femmes, très pesants dans son pays où elle a fini par imposer sa propre griffe.
En Irak, pays qui se remet à peine de quatre décennies de conflits, les femmes entrepreneuses sont encore très rares. Les «coutumes et les traditions qui les cantonnent aux rôles domestique et éducatif» freinent leur élan, expliquait l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) dans un rapport d’octobre 2022.
Alaa Adel, 33 ans, en a fait l’expérience. Diplômée de l’université de Bagdad avec une spécialisation dans la mode et le design, elle a eu l’idée de créer sa propre maison.
Mais son parcours a été semé d’embûches.
«Je me suis adressée à des mécènes et des organisations qui soutiennent l’art et la culture. Mais mon idée a été systématiquement rejetée, car je n’avais aucune expérience dans la conception de projets», dit-elle dans son atelier situé dans le quartier de Kerrada à Bagdad.
Écueil supplémentaire: dans un Irak où le secteur public règne en maître, le privé n’est encore qu’embryonnaire, rendant d’autant plus fastidieuses et longues les démarches pour créer son entreprise.
Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), le secteur public emploie 37,9% de la population active irakienne, l’un des taux les plus élevés au monde.
«Confiance»
Mais grâce à la fondation irakienne The Station et son programme «Ra’idat» (Entrepreneuses), financé par l’ambassade de France à Bagdad, Alaa Adel a acquis une formation qui lui a donné «confiance» pour démarrer son projet.
Son rêve s’est réalisé l’été dernier avec la création de sa marque «Alaa Adel» qu’elle a financée grâce à un prêt.
Pour autant, ses plus grandes craintes n’avaient que peu à voir avec le monde de l’entreprise. À ses débuts, elle a dû affronter les préjugés sexistes de certains fournisseurs au marché aux tissus de Bagdad, très réticents à l’idée de faire des affaires avec une femme.
Au plan personnel, le manque de crèches publiques l’a également ralentie. Une carence imputable à la tradition qui veut que les Irakiennes gardent leurs enfants jusqu’à ce qu’ils soient scolarisés. Alaa a surmonté le défi grâce à sa famille qui s’occupe de ses deux fils lorsqu’elle travaille.
Mais Alaa est une exception en Irak.
«Il y a environ 13 millions de femmes en âge de travailler» en Irak, «mais seul un million travaille», faisait valoir l’OIT dans un rapport de juillet 2022. L’OIT mettait en avant le taux de participation «faible» des Irakiennes au marché du travail avec «10,6% contre 68% pour les hommes».
Dans le monde du travail, les femmes irakiennes actives sont généralement institutrices ou infirmières. Certaines — rares — sont aussi dans la police ou les forces armées.
«Accompagner les femmes»
Shumoos Ghanem est patronne d’un commerce d’aliments diététiques et à l’origine de l’initiative «Iraqi Women in Business». Et pour elle, la racine du problème est la «discrimination» des femmes dans l’Irak contemporain. Les hommes «dominent dans de nombreux secteurs, tandis que les femmes sont reléguées aux marges» du monde professionnel.
Mère d’un fils, Shumoos, 34 ans, prodigue ses conseils en orientation professionnelle aux femmes par internet. La plupart de ses interlocutrices «sont des mères qui se sont éloignées du monde du travail pendant une longue période et ne savent pas comment y retourner», explique-t-elle. «Elles se demandent si la société les acceptera après une si longue absence».
Shumoos a elle-même fait l’amère expérience des préjugés sexistes. «Quand je suis allée voir les fournisseurs pour la première fois, j’ai bien vu que c’était compliqué. Il y avait beaucoup d’hommes autour de moi», se souvient-elle, citant ses «inquiétudes» quant aux risques d’être «harcelée».
Aujourd’hui, Shumoos dirige son enseigne depuis chez elle. Son rêve? «Avoir mon propre restaurant minceur. Je veux en faire un endroit où accompagner les femmes qui veulent travailler dans ce secteur», lance-t-elle.