Chasse-Marée a été fondée en 2020 par Guillaume Werstink et Emmanuel Sandt-Duguay. (Photo: courtoisie)
(Newport, Gaspésie). En roulant sur la route 132 en direction de Percé, difficile d’imaginer que ce petit village abrite un chantier naval à l’avant-garde. Conception navale FMP y fabrique notamment des homardiers en aluminium avec une propulsion hybride (électricité et essence), en plus de plancher sur le « bateau du futur », rien de moins.
« On travaille sur le bateau 5.0, un navire de pêche ou de plaisance qui sera résilient et durable », raconte le directeur général de la PME familiale, Francis Parisé junior, en nous faisant visiter le chantier naval situé à quelques jets de pierre de la marina de Newport.
Dans son usine à la fine pointe de la technologie, Conception navale FMP fabrique des bateaux (des homardiers et des crabiers) et vend des pièces et des moteurs, en plus d’effectuer aussi des rénovations de bâtiments.
Selon Francis Parisé junior, un bateau résilient est un navire qu’on peut modifier sans l’envoyer à la casse, parce qu’il faut par exemple installer un moteur nécessitant plus d’espace. Un navire durable est quant à lui un bateau en aluminium, qui a une durée de vie plus longue et dont on peut recycler les matériaux à l’infini.
L’entrepreneur affirme que le Québec est en retard dans ce créneau. « On a du rattrapage à faire par rapport aux pays d’Europe du Nord, qui ont dix ans d’avance sur nous », dit-il, en ajoutant que la propulsion des navires européens est de plus en plus durable, car elle s’appuie sur l’électricité, les biocarburants et l’hydrogène vert.
C’est d’ailleurs pourquoi son entreprise installera de plus en plus de moteurs électriques dans ses navires, d’autant plus que le Plan canadien de réduction des émissions pour 2030 inclut des cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES) pour le secteur maritime.
Francis Parisé junior est très confiant en l’avenir. « Nos revenus doublent presque chaque année. En 2017, on fabriquait un bateau par année. Cette année, nous allons en produire quatre ou cinq », dit-il.
Conception navale FMP n’est qu’un des nombreux exemples d’entreprises innovantes et dynamiques de la future « Zone bleue » du Saint-Laurent.
Cet écosystème sous-exploité au Québec (voir notre premier reportage) aura des activités axées selon deux grands thèmes stratégiques, soit la valorisation des ressources marines ainsi que le génie maritime et la navigation intelligente.
Valorisation des ressources marines
Plusieurs entreprises au Québec valorisent déjà depuis longtemps les ressources marines. Cela dit, des start-ups continuent de voir le jour et misent sur des marchés de niche. C’est notamment le cas de Chasse-Marée, une conserverie artisanale haut de gamme basée à Rimouski.
Fondée en 2020 par Guillaume Werstink et Emmanuel Sandt-Duguay (qui utilise son bateau de pêcheur pour pêcher les bourgots), cette start-up fabrique des conserves de produits marins de haute qualité, vendues 15 $ l’unité, sur le modèle des microbrasseries qui misent sur la qualité et de petits volumes.
« On fait un produit local tout en valorisant le Saint-Laurent, notre terroir », explique avec fierté Guillaume Werstin, en précisant qu’il vise les marchés du Québec, de l’Ontario, des Maritimes et de la région de New York.
En 2022, l’entreprise a figuré parmi les cinq finalistes dans la catégorie « Entreprise ou initiative de l’année », dans le cadre des Lauriers de la gastronomie québécoise, un concours qui couronne ce que l’industrie considère comme ses meilleurs acteurs.
Pour l’instant, Chasse-Marée ne produit que des conserves de bourgots, un mollusque prisé en Europe et en Asie. Toutefois, elle compte diversifier son offre avec le sébaste, un poisson de fond, et la mactre de Stimpson, un mollusque de la famille des palourdes.
L’entrepreneur voit d’un bon œil la création de la Zone bleue. « Ça nous donnera accès à d’autres acteurs, qui pourront par exemple nous aider à augmenter notre productivité », dit-il.
C’est le même son de cloche du côté de Lelièvre, Lelièvre & Lemoignan, une entreprise familiale de Sainte-Thérèse-de-Gaspé. Elle transforme des produits de la mer — principalement du homard, du flétan du Groenland, de la morue et du hareng — et les vend au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Asie.
« La Zone bleue va nous aider à croître », affirme le PDG, Roch Lelièvre.
L’entreprise — qui exploite aussi une poissonnerie — appuiera sur l’accélérateur pour réaliser deux projets dès que la zone sera créée, soit l’installation d’un vivier à homards et la construction d’un entrepôt frigorifique.
Les entreprises dans les biotechnologies marines anticipent aussi un effet structurant de la Zone bleue sur leurs activités.
« Elle va nous aider à réseauter et à accroître le nombre d’opportunités d’affaires », affirme Patrice Dionne, PDG d’InnoVactiv, une PME de Rimouski qui réalise 95 % de ses ventes à l’étranger, surtout aux États-Unis.
Elle développe, fabrique et commercialise des ingrédients de spécialité qui sont vendus à des entreprises qui élaborent des produits pour améliorer le bien-être et la santé humaine (articulation, peau, nutrition, etc.).
InnoVactiv a même développé un ingrédient actif pour une crème issue de molécules d’étoiles de mer, qu’elle capture et remet à la mer par la suite, une espèce qui a des capacités de régénération, comme celle de se faire repousser un membre.
Cet ingrédient est prisé en Asie, mais peu en Amérique du Nord, selon Patrice Dionne.
Génie maritime et navigation intelligente
Dans les secteurs du génie maritime et de la navigation intelligente, plusieurs entreprises du Québec ont développé ou travaillent sur des solutions technologiques très utiles pour d’autres organisations, ici comme à l’étranger.
Nuvoola, une PME montréalaise, a conçu un système automatisé de capture d’images en temps réel — installé aux guérites des ports — qui permet d’optimiser les chargements et déchargements de marchandises par camion. Elle propose aussi une solution pour visualiser les expéditions par train.
« Notre technologie raccourcit les temps d’approvisionnement », affirme le président et chef de la direction, Martin Renière, en précisant que plusieurs entreprises manufacturières au Québec pâtissent de nouveaux retards depuis la pandémie de COVID-19.
Des centres de recherche sont aussi des acteurs clés dans l’industrie, en offrant des services inestimables aux entreprises de l’économie bleue.
Innovation Martime (IMAR), un centre de recherche appliquée affilié à l’Institut maritime du Québec (qui est associé au cégep de Rimouski), aide les transporteurs maritimes à réaliser des économies de carburant, la réglementation sur les émissions de GES étant de plus en plus stricte.
IMAR développe aussi un logiciel pour optimiser la navigation sur le Saint-Laurent, sans parler d’un projet avec plusieurs partenaires, comme le Port de Montréal, Greenfield Global, groupe Océan, Polytechnique Montréal et l’Université Laval, afin de développer des biocarburants, explique le directeur général, Sylvain Lafrance.
« Le méthanol est vu comme un carburant d’avenir pour réduire les émissions de GES des navires », dit-il.
Un autre centre de recherche se démarque au Québec, soit le Centre interdisciplinaire de développement en cartographie des océans (CIDCO).
Situé également à Rimouski, le CIDCO a développé un algorithme en intelligence artificielle (IA) qui « protège la ressource marine et optimise les méthodes de pêches », explique le directeur de la recherche et du développement, Guillaume Labbe-Morissette.
Par exemple, l’algorithme peut compter en trois minutes et avec précision le nombre d’oursins qui se trouvent sur un périmètre de 6000 mètres carrés dans le fond de la mer, soit presque la superficie d’un terrain de football. Cette technologie fait économiser bien du temps et de l’argent aux pêcheurs.
L’économie bleue peut aussi être à la fine pointe technologique.
Par exemple, le CIDCO a aussi un projet pour créer des jumeaux numériques en 3D afin de cartographier des infrastructures marines à l’aide de lasers et d’ultrasons, comme les quais du port de Montréal.
« On peut ainsi faire une simulation pour [nous] assurer que la structure est toujours solide et [pour] détecter des défauts », explique Guillaume Labbe-Morissette.
Une autre start-up en IA se démarque aussi dans le secteur du génie maritime et de la navigation intelligente, soit la PME montréalaise Whale Seeker. Sa solution Möbius permet de détecter les mammifères marins à partir d’images aériennes — sa solution Cetus, elle, le fait à partir d’images satellites.
Ses produits aident donc les transporteurs maritimes internationaux qui livrent des marchandises ou du vrac d’un continent à l’autre à mieux planifier leurs déplacements, tout en protégeant les mammifères marins.
Concrètement, son logiciel Möbius permet de repérer tous les mammifères marins, baleines, morses, phoques ou ours polaires 25 fois plus rapidement que l’analyse manuelle de photographies aériennes.
Ainsi, ce logiciel permet de promouvoir des pratiques de pêche commerciale durable (un critère ESG (environnement, société et gouvernance) dans l’industrie maritime), mais aussi de préserver la santé des océans et de la planète, en protégeant les baleines, par exemple, souligne la PDG, Emily Charry Tissier.
« Ce sont les baleines qui fertilisent le phytoplancton ou les microalgues qu’on retrouve dans les océans. Or, le phytoplancton est un puits de carbone majeur pour capter le CO2 atmosphérique », souligne-t-elle.
Signe que le savoir-faire québécois en matière d’économie bleue est de classe mondiale, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a nommé ce printemps le logiciel Möbius de Whale Seeker comme l’un des dix meilleurs projets d’IA au monde pour le développement durable.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plusieurs des entreprises avec lesquelles nous nous sommes entretenus sont très actives à l’international.
En effet, si le Québec dispose des ressources marines, des fabricants et des services technologiques hors pair, son marché intérieur est relativement petit (8,7 millions d’habitants), et encore plus pour les entreprises nichées et actives dans l’économie bleue.
C’est pourquoi la future Zone bleue prendra le grand large dès sa fondation, fait remarquer Amélie Desrochers, directrice exécutive de l’innovation et de l’entrepreneuriat à Novarium et accélératrice en chef à l’accélérateur d’entreprises Flots.
« C’est sur les marchés mondiaux que nous trouvons les premiers adoptants, pas au Québec. C’est aussi plus facile de convaincre des capitaux risqueurs d’investir dans nos entreprises si elles visent d’abord le marché mondial », dit-elle.
On peut le comprendre aisément, si l’on se fie aux données publiées dans le cadre des conférences Globe Series, un important forum de gens d’affaires en Amérique du Nord à propos du développement durable et de l’innovation.
Ainsi, selon l’étude « Scaling up the Blue Economy: A Domestic and International Road Map », publiée en 2021, les industries océaniques pèsent pour au moins 3,5 % du PIB mondial — soit plus du double de la moyenne canadienne, de 1,6 %. Cette proportion à l’échelle mondiale pourrait doubler d’ici 2030.
Enfin, on l’oublie aussi souvent, mais plus de trois milliards de personnes dépendent de l’océan pour leurs moyens de subsistance, et plus que 350 millions d’emplois sont liés à l’océan dans le monde entier.
C’est pourquoi le Québec veut aussi surfer sur la vague de l’économie bleue.
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Flots, l’accélérateur marin de Novarium
Mission
Aider les start-ups, les investisseurs et les industriels à accélérer le développement et la commercialisation de solutions durables.
Quatre objectifs
1. Améliorer le dynamisme de l’écosystème start-up bleu du Québec à l’échelle mondiale
2. Outiller les chercheurs/entrepreneurs pour passer de l’idée à un projet de start-ups
3. Accélérer la phase de validation, de commercialisation et de capitalisation des start-ups
4. Accélérer le développement et l’intégration technologiques des partenaires industrielles et favoriser le maillage avec les start-ups
Source : Novarium