Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Difficile de mesurer l’impact des dépenses publiques

La Presse Canadienne|Publié le 19 juin 2023

Difficile de mesurer l’impact des dépenses publiques

Tandis que la plupart des experts en finances publiques conviennent que les dépenses gouvernementales peuvent alimenter l’inflation, la recherche économique suggère que le lien entre ces deux facteurs est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. (Photo: La Presse Canadienne)

OTTAWA — La tentative du chef conservateur Pierre Poilievre d’empêcher l’adoption du «projet de loi budgétaire» du gouvernement libéral, plus tôt ce mois−ci, est le dernier exemple de dépenses gouvernementales au banc des accusés lors de poussées inflationnistes. 

Tandis que la plupart des experts en finances publiques conviennent que les dépenses gouvernementales peuvent alimenter l’inflation, la recherche économique suggère que le lien entre ces deux facteurs est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

Le chef de l’opposition avait d’abord exigé que le gouvernement présente un plan pour un retour éventuel à l’équilibre budgétaire, sans quoi les conservateurs feraient obstruction au projet de loi de mise en œuvre du budget. M. Poilievre a fait valoir qu’en affichant des déficits, le gouvernement fédéral fait grimper l’inflation et force la Banque du Canada à maintenir des taux d’intérêt élevés.

Ses demandes n’ont finalement pas été satisfaites et le projet de loi a été adopté à la Chambre des communes, avec l’appui des néo−démocrates.

Les bloquistes ont aussi voté contre, parce que ce budget ne répondait pas selon eux aux principales revendications de groupes d’intérêts québécois. Ils dénoncent toujours, par ailleurs, la récente entente sur les transferts fédéraux en santé.

Mais l’examen minutieux des dépenses gouvernementales fédérales est loin d’être terminé, car l’inflation demeure élevée et la Banque du Canada risque de relever à nouveau ses taux d’intérêt, après avoir haussé son taux directeur à 4,75% plus tôt ce mois−ci.

Mais en même temps, les économistes affirment que les dépenses publiques peuvent affecter à la fois la demande et l’offre dans un marché, ce qui rend leur impact total sur l’inflation plus difficile à cerner. 

Des thèses concurrentes

Pour Stephen Williamson, professeur d’économie à l’Université Western, en Ontario, cette idée que plus de dépenses gouvernementales équivalent à plus d’inflation est «quelque chose qu’on pourrait enseigner, disons, à une classe de deuxième année (à l’université). Mais en réalité, c’est plus compliqué».

Il existe des théories concurrentes sur la question, dit−il, avec des conclusions mitigées dans la littérature économique.

Prenons par exemple une nouvelle étude de la Banque du Canada qui examine les données américaines sur l’inflation et les dépenses gouvernementales. L’étude, publiée plus tôt ce mois−ci, a constaté qu’une augmentation des dépenses publiques peut en fait tirer l’inflation vers le bas.

L’étude — coécrite par Yinxi Xie, de la banque centrale canadienne, et Chang Liu, de l’Université nationale de Singapour — se concentre spécifiquement sur les dépenses publiques en biens et services, excluant les paiements de transfert aux particuliers et aux entreprises.

«Nos résultats vont à l’encontre de la science classique, qui voudrait que les croissances budgétaires soient inflationnistes, ont écrit les auteurs. Nous constatons que l’inflation diminue suite à une augmentation des dépenses publiques et que l’effet est relativement persistant, durant environ un an et demi.»

Les chercheurs suggèrent qu’une augmentation des dépenses publiques peut en fait réduire l’inflation en stimulant les niveaux d’emploi, augmentant ainsi l’offre dans l’économie. 

Des résultats «contre−intuitifs»

Le professeur d’économie Trevor Tombe, de l’Université de Calgary, souligne que selon cette théorie, les gens choisissent de travailler davantage lorsque les dépenses publiques augmentent, parce qu’ils prévoient également une augmentation des impôts.

«C’est présenté comme des résultats quelque peu contre−intuitifs — qu’une augmentation des dépenses publiques peut réduire l’inflation», a déclaré M. Tombe. Mais il met en garde contre la tentation de tirer des conclusions définitives à partir d’un résultat de recherche. «C’est assurément intéressant. Il s’agit d’une contribution précieuse. Mais aucun article ne clôt le débat», rappelle-t-il.

Le professeur Williamson, de l’Université Western, est aussi de cet avis, notant que l’étude n’examine pas les transferts gouvernementaux comme les prestations versées pendant la pandémie.

Mais l’idée que la politique gouvernementale peut réduire l’inflation en relâchant l’offre n’est pas nouvelle. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada Stephen Poloz a fait valoir que le budget fédéral, qui mettait fortement l’accent sur la croissance de l’«économie verte», pourrait en fait aider à réduire l’inflation en augmentant la capacité de production de l’économie canadienne.

Et la ministre des Finances, Chrystia Freeland, n’a pas tardé à citer M. Poloz pour défendre ses plans de dépenses.

Quant à savoir ce qui a conduit à la poussée actuelle de forte inflation au Canada — et quel rôle les dépenses gouvernementales ont pu jouer —, le professeur Tombe estime que la question demeure ouverte. «Nous étudierons cette période pendant des décennies à venir.»