Doug Ford et voitures électriques: contradiction ou stratégie?
La Presse Canadienne|Publié le 13 Décembre 2021En 2018, le gouvernement de Ford a supprimé le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre de l’Ontario, et avec lui les rabais sur les véhicules électriques financés par ce programme. (Photo: La Presse Canadienne)
Toronto — Doug Ford présente l’Ontario comme la prochaine puissance pour la fabrication de véhicules électriques, ce qui semble loin du premier ministre qui, il y a trois ans, a annulé les incitatifs pour que les gens les achètent.
Là où certains voient une contradiction, d’autres voient une stratégie électorale calculée.
Peu de temps après son arrivée au pouvoir en 2018, le gouvernement de Ford a supprimé le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre de l’Ontario, et avec lui les rabais sur les véhicules électriques financés par ce programme.
Son gouvernement a également cessé de construire des bornes de recharge — l’agence de transport provinciale en a même supprimé certaines — et a abandonné l’exigence pour les nouvelles maisons d’inclure le câblage électrique pour les chargeurs potentiels de VE.
Le premier ministre a mis fin au remboursement instauré par le gouvernement libéral précédent pouvant aller jusqu’à 14 000 $ pour les acheteurs de véhicules électriques, le qualifiant de soutien aux riches.
«Avant les élections, je ne croyais pas à l’idée d’offrir aux millionnaires des rabais sur plus de 100 000 $ pour une voiture Tesla», a-t-il déclaré le mois dernier. «Je n’y croyais tout simplement pas. Voyons comment le marché agit.»
Dans l’année qui a suivi l’annulation des rabais, le marché des véhicules électriques a chuté en Ontario. À son point culminant, les véhicules électriques représentaient environ 3% des ventes totales de véhicules automobiles de la province. Ce chiffre est tombé à moins d’un pour cent après la suppression de la remise.
L’introduction d’un rabais fédéral a vu les ventes de véhicules électriques de l’Ontario recommencer à grimper. Les données les plus récentes de Statistique Canada ramènent les chiffres à peu près au niveau où ils étaient avant l’annulation provinciale.
Mais c’est encore bien en deçà des niveaux observés dans les provinces avec leurs propres rabais, comme la Colombie-Britannique et le Québec, qui enregistrent des ventes de véhicules électriques d’environ 13% et 10%, respectivement.
Les défenseurs des véhicules électriques affirment que l’Ontario ne peut pas être un chef de file dans la fabrication tout en étant à la traîne dans les ventes.
«Piloter la prospérité»
Joanna Kyriazis, conseillère principale en politiques chez Clean Energy Canada, a déclaré que la stratégie automobile ontarienne récemment annoncée était plus favorable aux véhicules électriques qu’elle ne l’aurait imaginé, mais qu’elle manque la seconde moitié de l’équation.
«Je pense qu’il y a eu un changement récent dans la vision du gouvernement Ford sur les véhicules électriques, du moins du côté de la fabrication», a-t-elle déclaré.
Le plan «Piloter la prospérité» de l’Ontario se concentre sur le repositionnement du secteur automobile de la province pour construire des véhicules électriques, ainsi que sur la production de batteries ontariennes, en tirant parti des minéraux essentiels trouvés dans le Cercle de feu. Il vise à construire au moins 400 000 véhicules électriques et hybrides d’ici 2030.
L’Ontario a obtenu des investissements de grands constructeurs automobiles tels que Ford et GM pour construire de nouveaux véhicules électriques dans leurs installations de la province au cours des prochaines années, et le premier ministre cherche à en attirer davantage.
«Notre gouvernement le sait et l’industrie automobile le sait: l’Ontario est le premier endroit au monde pour construire les voitures et les camions du futur», a déclaré Doug Ford lorsqu’il a annoncé la stratégie le mois dernier.
Il y a une partie du plan consacré à encourager l’adoption des véhicules électriques, mais elle se limite principalement à l’établissement d’un Conseil d’électrification des transports qui sollicitera les avis sur les moyens d’y arriver. Sans plus de travail pour encourager les ventes intérieures, la plupart des véhicules électriques éventuellement produits en Ontario seraient simplement expédiés ailleurs, a déclaré Joanna Kyriazis.
«Produire plus de véhicules électriques en Ontario ne se traduira pas directement par une augmentation des ventes de véhicules électriques en Ontario, à moins que les consommateurs ne soient davantage encouragés à passer à l’électricité», a-t-elle déclaré.
Agir du côté de la fabrication, mais pas du côté des consommateurs est contradictoire, a déclaré Daniel Breton, président et chef de la direction de Mobilité électrique Canada.
«Si l’Ontario veut être un chef de file, ce n’est pas un buffet où vous choisissez ce que vous décidez de faire», a-t-il déclaré.
«Les rabais font une différence. Ils n’ont pas besoin d’être de 14 000 $, mais si les gens voient un rabais décent ou même un crédit d’impôt, je pense que cela fait une différence, pas seulement d’un point de vue financier. Il y a un point de vue social, cela dit que le gouvernement encourage vraiment la transition vers les véhicules électriques.»
Mais l’objectif politique de ce gouvernement, disent les stratèges, est de se concentrer sur l’emploi.
Doug Ford essaie de sécuriser la fabrication dans des régions comme Oakville et Windsor, tandis que les libéraux examinent la situation du point de vue des consommateurs et de l’environnement, a déclaré Andrew Steele, vice-président de la société de conseil StrategyCorp.
«Si vous le considérez comme “J’ai besoin que ce genre d’emplois restent ici en Ontario, c’est ma principale préoccupation”, vous allez passer du temps à réfléchir aux incitations à créer des emplois ici», a déclaré Andrew Steele, un ancien haut fonctionnaire libéral.
«Je pense que Ford est agnostique par rapport au type de carburant. Il se dit que c’est la direction que prend le marché, alors nous devons nous y rendre pour trouver des emplois.»
David Tarrant, ancien directeur exécutif des communications stratégiques de Doug Ford, a déclaré qu’il existe une «histoire puissante» que le premier ministre ontarien peut raconter sur la fabrication de véhicules électriques en Ontario, à commencer par les minéraux essentiels trouvés dans le Cercle de feu.
Cela donne également à Doug Ford l’occasion, à l’approche des élections de juin, de parler des pertes d’emplois dans le secteur manufacturier sous l’ancien gouvernement libéral et de leurs rabais fortement critiqués qui ont été accordés aux conducteurs de véhicules électriques de luxe, a-t-il déclaré.
«Ce dont nous parlons, c’est de la façon dont l’Ontario, du côté de la fabrication et du côté de l’offre, peut réellement conduire et soutenir ce genre de révolution dans les véhicules électriques, créer un tas d’emplois… plutôt que d’utiliser l’argent des contribuables ontariens pour soutenir l’achat de véhicules qui ont été fabriqués ailleurs», a déclaré David Tarrant, maintenant vice-président d’Enterprise, une entreprise de communication stratégique.
Jeff Crumb et sa famille qui vivent dans la région de Kitchener, en Ontario, sont à la recherche d’une nouvelle voiture et se tournent vers l’électrique. Il a dit que le choix serait beaucoup plus facile s’il y avait un incitatif provincial pour réduire le prix d’achat.
«S’il y avait un rabais en place, ce serait une évidence. Nous le ferions immédiatement», a-t-il déclaré.
Une promesse électorale des libéraux de l’Ontario a attiré l’attention de Jeff Crumb, bien qu’il ne soit pas en mesure d’attendre de voir le résultat du vote du 2 juin avant de faire son prochain achat de véhicule.
Les libéraux promettent un rabais allant jusqu’à 8 000 $ sur les véhicules électriques qui coûtent jusqu’à 55 000 $. Les néo-démocrates promettent des rabais jusqu’à présent non spécifiés pour les véhicules électriques non luxueux.
«Lorsque le prix d’un véhicule électrique est, vous savez, de 10, 15 ou 20 000 $ de plus qu’un véhicule à essence, cela rend cette décision vraiment difficile», a déclaré Jeff Crumb.