É-U: des experts encouragent le Canada à se montrer plus ferme
La Presse Canadienne|Publié le 15 novembre 2021Des experts estiment que les événements observés depuis dix mois laissent croire que la relation entre le Canada et les États-Unis a carrément pris le champ. (Photo: La Presse Canadienne)
Washington — Le gouvernement libéral fédéral s’est fait berner par un faux sentiment de sécurité à la suite de l’élection présidentielle de l’an dernier, croient des gens d’affaires qui pressent le premier ministre Justin Trudeau à se montrer plus ferme envers le président Joe Biden au moment de sa visite à la Maison-Blanche cette semaine.
Les Canadiens s’attendaient peut-être à se la couler douce après la défaite de Donald Trump, mais des experts estiment plutôt que les événements observés depuis dix mois — en commençant par l’annulation du projet d’oléoduc Keystone XL au tout premier jour de la présidence Biden — laissent croire que la relation entre le Canada et les États-Unis a carrément pris le champ.
«Collectivement, on considérait que cette relation était un peu sur le pilote automatique», analyse le président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires Goldy Hyder.
«On a tous succombé au mirage que “La vie sera parfaite à nouveau, tout va redevenir comme avant, ils nous aiment, nous les aimons et on va vivre une relation heureuse.” Les faits montrent que c’est plutôt le contraire», a-t-il poursuivi.
Parmi ces faits, on compte une longue liste de points douloureux pour le Canada. Liste qui semble sans cesse s’allonger.
En plus du dossier Keystone XL, l’administration Biden a démontré peu d’enthousiasme face aux projets des oléoducs «Line 3» et «Line 5» mis de l’avant par Enbridge, à Calgary. Ces projets transfrontaliers font face à de vives oppositions et même à des poursuites judiciaires aux États-Unis.
Protectionnisme américain
De plus, le président Biden martèle continuellement sa rhétorique protectionniste «Buy American» pour convaincre les électeurs que son grand chantier d’infrastructures va bénéficier principalement à des fournisseurs et des entrepreneurs américains avec d’importantes conditions imposées à toute contribution étrangère.
Ce vocabulaire a pu être entendu à nouveau lundi quand Joe Biden a procédé à la signature de la loi officialisant son plan d’infrastructure de 1,2 billion de dollars américains. Une autre série de directives est liée au plan. Ces consignes ordonnent au gouvernement d’acheter local pour stimuler l’économie américaine et sa compétitivité, notamment en implantant des exigences de fabrication aux États-Unis pour stimuler la production manufacturière et ses chaînes d’approvisionnement.
Lundi, le premier ministre Justin Trudeau a reconnu que le protectionnisme américain fait partie des enjeux qu’il entend aborder, à nouveau, avec le président Biden.
M. Trudeau a souligné lundi que les principes du Buy American constituent «un défi particulier pas seulement pour les entreprises, les travailleurs ici au Canada, mais aussi pour ceux aux États-Unis à cause de l’intégration de nos chaînes d’approvisionnement, à cause de l’intégration de nos économies».
«C’est contre-productif pour les Américains d’amener plus de barrières et de limites au commerce entre nos deux pays», a-t-il ajouté.
C’est un enjeu que j’ai souligné bien souvent déjà avec le président Biden et ça va certainement faire partie des conversations importantes que nous allons avoir plus tard cette semaine.
L’industrie automobile canadienne est aussi en guerre contre une proposition de crédit d’impôt aux États-Unis à l’achat d’un véhicule électrique. Le crédit pourrait s’élever à 12 500 $US. Ce que les critiques dénoncent, dont l’industrie canadienne, c’est que le crédit vise injustement les véhicules construits aux États-Unis par des travailleurs syndiqués.
Goldy Hyder cite aussi parmi les points de discorde l’absence totale de préavis au moment du retrait chaotique des troupes américaines en Afghanistan ; l’entente pour fournir des sous-marins nucléaires à l’Australie qui semble avoir complètement écarté le Canada ; et le délai de trois mois dans la réouverture de la frontière dans un sens et dans l’autre.
Rien de tout cela ne décrit une relation bilatérale saine entre deux États, fait remarquer M. Hyder.
«Je suis beaucoup plus intéressé par l’état de la relation à la suite d’un événement comme celui-là que je pourrais l’être à propos du progrès effectué sur tel ou tel élément législatif», a-t-il mentionné.
«Les amis sont censés être capables de se parler franchement, honnêtement. Je ne mesure pas cette relation sur leur capacité à paraître copain-copain et à se taper dans les mains. Je veux des résultats pour les Canadiens et pour nos intérêts. C’est ça que je veux voir.»
L’appréciation de Biden aux États-Unis en baisse
Les démocrates sont confrontés à de puissants vents de face aux États-Unis et cela n’aidera sans doute pas à améliorer les choses.
L’inflation aux États-Unis a maintenant dépassé les 6% et le prix de l’essence à la pompe atteint des sommets à travers le pays, notamment en raison des conséquences de la pandémie de COVID-19, mais aussi en raison des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement qui frappent les Américains juste au moment où commencent les achats des fêtes.
Les taux d’appréciation de Joe Biden sont au plus bas et les bons résultats obtenus par les républicains aux élections pour les postes de gouverneurs des États de Virginie et du New Jersey annoncent une lutte féroce aux élections de mi-mandat l’an prochain.
Compte tenu de tout ça, il serait probablement plus sage pour les Canadiens et les Mexicains de modérer leurs attentes par rapport au sommet de jeudi, prévient Duncan Wood, vice-président et conseiller principal du Wilson Center et de son Institut du Mexique.
Les trois États sont toujours en processus de réparation des dommages causés par le passage de l’ère Trump. Pour M. Wood, le plus important objectif de la rencontre pourrait justement être de progresser dans cette voie de réconciliation.
«Il y a de la valeur dans le simple fait d’avoir une conversation, dit-il. C’est juste qu’il ne faut pas s’attendre à grand-chose, je crois, du résultat que pourrait produire cette conversation à court terme.»
La nature de la relation canado-américaine a longtemps pris la forme du Canada qui étale ses priorités afin d’attirer l’attention des Américains, puis d’essayer ensuite d’aligner ces priorités avec les objectifs des Américains afin que des actions soient entreprises, décrit Maryscott Greenwood, cheffe de la direction du Conseil canado-américain des affaires.
«À Washington, quand le dialogue est dominé par la politique interne, le Canada et le Mexique sont laissés sur la touche. Mais en vérité, le Canada et le Mexique peuvent contribuer à résoudre certains des problèmes politiques internes comme les infrastructures et la coopération en matière d’énergie», soutient Mme Greenwood.
«Cela peut sembler surprenant pour les Canadiens que nous ayons toujours à rappeler cette réalité, mais il faut effectivement continuer de le répéter. Il faut avoir cette conversation», insiste-t-elle.