(Photo: 123RF)
La peur peut changer notre perception du risque en déformant l’analyse mentale que nous faisons du rapport entre les coûts et les bénéfices. En tant qu’investisseurs, nous ne pouvons pas éliminer totalement le risque, aussi devons-nous apprendre à conquérir — ou du moins à gérer — nos peurs.
L’émotion et la perception du risque
La peur s’est toujours avérée amplifier le risque perçu et l’aversion au risque. On a fait des expériences dans divers environnements et observé que créer la peur dans un groupe se traduisait par une surestimation de la vraisemblance de résultats futurs négatifs par rapport à un groupe témoin. Qui plus est, la peur que nous ressentons n’a pas à être liée aux résultats auxquels nous pensons. Lire des coupures de journaux relatant des événements tragiques a conduit les gens à surestimer la vraisemblance d’événements négatifs se déroulant dans des domaines de la vie complètement différents (par rapport à une lecture d’événements anodins). Dans une autre étude, montrer simplement des expressions faciales terrorisées faisait augmenter chez les gens l’attente d’événements négatifs par rapport à la vue d’expressions faciales anodines.
Ces expériences psychologiques soulignent la façon dont notre esprit fonctionne en présence de la peur. Quand nous avons peur, nous avons tendance à croire que des événements négatifs ont plus de chances de se produire que nous ne le pensions avant, et nous pouvons devenir plus sensibles à des pertes ponctuelles.
«Les anxieux ont tendance à se focaliser sur les résultats négatifs potentiels d’événements futurs et croient que ces résultats ont plus de chances de se produire.» (Alison Wood Brooks, 2014)
Tout cela est important pour les investisseurs parce que la peur peut changer la façon dont nous évaluons nos compromis en changeant notre estimation des coûts et avantages relatifs. Si vous pensez qu’un effondrement du marché boursier est très probable dans les six mois qui s’annoncent, vous penserez peut-être que dévier de votre stratégie de planification de vos placements est justifié pour éviter ce que vous considérez comme des pertes très probables. Le problème est que votre intuition des événements qui vont se produire sera peut-être influencée par une peur qui n’a rien à voir avec les données fondamentales du marché.
Le risque perçu est plus motivant que le risque objectif
Une étude sur les investisseurs effectuée dans plusieurs pays a trouvé que les gens de différents pays avaient des croyances très différentes sur le risque que présentaient les investissements, et que leurs répartitions d’actifs en étaient le reflet. Aux États-Unis, par exemple, les gens s’attendaient à des rendements élevés pour un risque qu’ils percevaient comme relativement faible s’ils investissaient. En revanche, les investisseurs des Pays-Bas percevaient les mêmes investissements comme présentant des risques très élevés pour des rendements attendus relativement faibles. Comme on pouvait s’y attendre, les investisseurs américains suivaient des stratégies de répartition d’actifs beaucoup plus dynamiques que les investisseurs néerlandais. Les chercheurs en ont conclu que la culture pouvait avoir un effet plus grand sur la répartition d’actifs qu’une analyse de risque objective.
D’autres études montrent que lorsque leur perception du risque change, le comportement des gens vis-à-vis des investissements change en conséquence, mais que lorsque ce sont des évaluations objectives numériques qui changent, leur comportement n’est pas aussi fortement affecté. Cet effet semble plus prononcé lorsque nous pensons que les cours de la bourse sont affectés par d’autres personnes plutôt que par des facteurs objectifs. Dans une simulation du marché boursier, les gens chez qui l’on avait suscité la peur ont vendu plus tôt s’ils pensaient que les cours étaient générés par des pairs, mais pas s’ils croyaient que le cours d’une action était généré par des ordinateurs. Cela peut expliquer pourquoi les gens qui croient que le marché est très efficient sont moins enclins à changer leurs placements face à la volatilité du marché que ceux qui croient que les cours suivent les caprices de la multitude.
Vivre avec la peur
Il est normal de connaître la peur quand on est confronté à une incertitude ou à une menace incontrôlable. Dans ces situations, nous pouvons être motivés pour passer à l’acte ou pour chercher davantage d’informations pour réduire l’incertitude ou éliminer la menace, et réduire ainsi la sensation de peur. À ce stade, nous sommes confrontés à un autre obstacle parce que la communication du risque elle-même peut provoquer la peur.
Notre perception du risque peut être affectée par certains aspects de l’information sur le risque elle-même et par des indices contextuels comme les couleurs, les graphismes et les effets sonores. Les spécialistes du marketing, les politiciens et les experts utilisent cela à leur avantage quand ils préparent des messages (et ils utilisent souvent pour les y aider les services de praticiens de la science comportementale), afin d’améliorer la probabilité d’un passage à l’acte chez le consommateur.
Des scénarios et des histoires faciles à imaginer peuvent être des stratégies efficaces pour provoquer la peur. Les graphiques et les images sont plus convaincants d’un point de vue affectif que les chiffres, et des incitations modérées combinées à la suggestion qu’une intervention est souhaitée peuvent se traduire par de plus fortes intentions de passage à l’acte que des informations factuelles à elles seules.
Les informations sont précieuses, et, en tant qu’investisseurs, nous devons faire notre travail de recherche sur les produits et les services que nous achetons. Toutefois, nous devons aussi être attentifs à l’impression que nous procure la présentation des investissements, et éviter de nous complaire dans les scénarios catastrophes et le sensationnalisme toutes les fois où nous le pouvons.
Le risque est inévitable, la panique optionnelle
Si vous êtes un investisseur, vous ne pouvez pas éviter totalement le risque. Oui, vous pourriez (et devriez) diversifier vos placements, réunir des informations sur vos avoirs et sélectionner une stratégie qui convienne à votre tolérance générale du risque. Même ainsi, si vous y risquez votre peau, vous éprouverez probablement de l’angoisse à certains moments. Apprendre à gérer votre peur quand elle se manifeste peut vous aider à garder la tête froide quand d’autres sont pris de panique. Voici quelques suggestions pour vivre avec votre peur. Dans l’avenir, j’explorerai en profondeur des stratégies plus pratiques.
– Réévaluez votre angoisse : Dans le passé, j’ai parlé des similitudes physiologiques entre l’angoisse et l’exaltation, et de la manière dont la technique appelée réévaluation de l’angoisse pouvait améliorer la prise de décisions dans les situations stressantes. Pour en savoir davantage, cliquez ici.
– Réduisez les bavardages au silence : Puisque la manière dont les informations vous arrivent peut affecter comment vous vous sentez (et donc comment vous percevez le risque), il y a des moments où il faut simplement éteindre la télévision et faire autre chose. Il y a beaucoup de gens qui gagnent leur vie en montant des banalités en épingle. Les organes d’information doivent produire un contenu engageant pour qu’une audience de plus en plus impatiente ait des journées bien remplies, sept jours sur sept et 24 heures sur 24. Ils sont mis sous une pression extrême pour tout transformer en crise, mais vous n’avez pas à porter sur vos épaules le poids de leurs messages.
– Consultez un expert financier éprouvé : Si vous avez un conseiller financier, demandez-lui de vous aider à avoir une vue globale des choses. Souvent, la crise du jour n’est qu’une anomalie sur une trajectoire par ailleurs ascendante. Les effondrements existent, de même que les rebonds. Il est essentiel de prendre du recul, et il est souvent utile de soumettre notre situation à une personne compatissante, mais dépassionnée pour nous permettre de voir les choses plus clairement.
Pour résumer
La peur a le pouvoir de changer notre perception du risque, d’infléchir les probabilités du côté négatif. Parce que la peur et l’incertitude nous rendent mal à l’aise, nous pouvons être tentés de passer à l’action pour essayer de réduire cette incertitude. Cela peut prendre la forme d’une recherche et d’une quête d’informations. La recherche, c’est très bien, mais il faut faire attention à la manière dont les informations nous sont présentées parce que le format, le langage et le ton utilisés peuvent eux-mêmes amplifier notre peur. Puisque le risque est inévitable dans les placements, nous ferions bien d’acquérir et d’appliquer des compétences d’adaptation affective pour combattre les éventuels effets négatifs de la peur sur notre comportement d’investisseur.