Exploiter les richesses ultralocales pour séduire le monde
Émilie Parent-Bouchard|Édition de la mi‑juin 2022Les produits québécois se multiplient sur les tablettes de la SAQ. (Photo: 123RF)
INDUSTRIES DES ALCOOLS DU QUÉBEC. Les Québécois de 15 ans et plus ont consommé l’équivalent de 494 verres d’alcool (8,4 litres d’alcool pur) en 2020-2021, selon Statistique Canada. Si certains types d’alcool locaux font tout juste leur apparition dans nos verres, d’autres ont de si nombreuses déclinaisons que les buveurs en viennent à se demander comment tous ces producteurs arrivent à subsister et à faire des profits ! Les Affaires tente d’en savoir plus sur les façons de tirer son épingle du jeu dans cette industrie en ébullition.
Champignons sauvages, algues, quenouilles… La compétition féroce qui se dispute dans l’industrie des boissons alcoolisées incite les producteurs d’alcools québécois à rivaliser d’ingéniosité pour mettre leur terroir en valeur afin de se démarquer de la concurrence et de piquer la curiosité à l’international.
À quelques jours de la première livraison du gin Radoune à la Société des alcools du Québec (SAQ), en 2017, le téléphone sonne à la distillerie O’Dwyer. L’Agence canadienne d’inspection des aliments conteste l’idée de produire du gin à partir de champignons. La loi prévoit en effet qu’il doit être conçu à partir de «substances végétales», et non fongiques.
Panique à Gaspé, se souvient Michael Briand, copropriétaire de l’entreprise. «On a quasiment eu une crise cardiaque. Parce que c’était ça la distillerie : on ne voulait faire que des produits avec des champignons. On avait notre branding, les étiquettes imprimées, tout était fait.»
Son acolyte, Frédéric Jacques, titulaire d’un doctorat en chimie organique, en passe une «nuit blanche». Il recense dans un mémoire comment la définition du gin a précédé d’une quarantaine d’années la classification des champignons comme appartenant à un règne à part des végétaux. L’ingrédient respecte donc l’esprit de la loi. Soupir de soulagement.
Seule contrainte, tous les champignons doivent être cueillis par des cueilleurs professionnels dotés d’une assurance. Qu’à cela ne tienne : O’Dwyer s’approvisionne désormais en armillaires couleur de miel et autres chanterelles auprès des équipes de Gaspésie sauvage et de Champignon boréal.
«Une de nos valeurs, c’est la proximité. Donc, pour les ingrédients, c’est vraiment important d’acheter le plus proche de la distillerie que possible», note Michael Briand, lui-même revenu sur la terre natale de son père pour mettre en valeur la contribution des Irlandais au patrimoine de la Gaspésie.
À l’autre bout de la province, en Abitibi, soutenir l’économie locale est aussi une évidence pour Spiritueux Alpha Tango. La distillerie basée à Val-d’Or achète de la communauté anichinabée de Lac-Simon les quenouilles qui rendent son gin Bravo Charlie «unique au monde».
«Jusqu’à maintenant, ils ont cueilli environ 300 kg de quenouilles pour nous. Moi, j’en ai cueilli environ 300 grammes en une demi-heure!» rigole Alex Gaudreault, copropriétaire de l’entreprise avec son père, Daniel Corriveau, un ingénieur forestier reconverti qui met les contacts de son ancienne carrière à profit.
Une carte de visite à l’international
Les exemples semblables pullulent dans la province. L’agente de développement à l’Union québécoise des microdistilleries (UQMD), Geneviève Laforest, cite entre autres la mise en valeur des algues dans le Gin St. Laurent, celle des aromates des monts Valins, au Saguenay, qui servent à la confection du gin km12 ou de ceux des Jardins de Métis dans les spiritueux de la distillerie Mitis.
L’UQMD prévoit d’ailleurs inviter des acheteurs internationaux et des journalistes pour faire découvrir le terroir québécois l’an prochain. «C’est ce qui fait notre distinction sur les marchés internationaux, observe Geneviève Laforest. On a besoin d’un bon fonds de roulement pour investir à l’exportation, mais le potentiel est énorme.»
Alpha Tango confirme que la quenouille est un ambassadeur qui «pique la curiosité». Produit seulement depuis la fin de 2020, le gin Bravo Charlie devrait être vendu dans les provinces du centre du Canada et de l’Atlantique d’ici la fin de l’été. Des discussions sont aussi en cours pour des marchés beaucoup plus vastes.
«La quenouille est consommée dans certaines régions rurales de la Chine, a appris Alex Gaudreault après des discussions avec un importateur québécois basé à Shanghai qui convoite le produit. Et ils ont un engouement pour les trucs différents. Juste à Shanghai, les possibilités sont énormes!»
Les champignons d’O’Dwyer séduisent quant à eux aux États-Unis, à raison de «quelques bouteilles par années» puisque la «paperasse pour les USA» ralentit l’accès au marché, malgré l’intérêt. «Quelques palettes par année» trouvent aussi preneurs en Europe, sans commune mesure encore avec les ventes au Québec, affirme Michael Briand.