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Faire passer l’humain avant les profits, c’est payant!

Olivier Schmouker|Publié le 24 novembre 2021

Faire passer l’humain avant les profits, c’est payant!

Au Québec, l’économie sociale compte 11 200 entreprises collectives pour un chiffre d’affaires annuel de 48G$. (Photo: 123RF)

L’économie sociale a le vent dans les voiles, en ces temps de reprise que le gouvernement Legault veut «inclusive et durable». Un exemple frappant est celui de l’opération «Économie sociale: j’achète!» pilotée par la Conseil d’économie sociale de l’île de Montréal (Césim), qui a vu en 2020 la signature de 418 contrats pour une valeur de plus de 24 M$. Ces contrats ont permis à une trentaine d’entreprises d’économie sociale montréalaises de faire affaire avec une trentaine d’institutions publiques et d’entreprises privées. Ils ont contribué, entre autres, à la réinsertion socioprofessionnelle de personnes éloignées du marché du travail, à la lutte pour la sécurité alimentaire et au verdissement d’espaces publics.

C’est que l’économie sociale met l’humain au cœur des décisions d’affaires, et non plus «le profit à tout prix». Elle a pour piliers «la démocratie, l’équité et la solidarité». «Son postulat est que si l’on veut changer le monde, il faut commencer par changer l’économie», dit Béatrice Alain, la directrice générale du Chantier de l’économie sociale, un organisme à but non lucratif qui a pour principal mandat la promotion et le développement de l’entrepreneuriat collectif.

Au Québec, l’économie sociale compte 11 200 entreprises collectives, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Celles-ci emploient près de 220 000 personnes et impliquent 90 000 administrateurs bénévoles, pour un chiffre d’affaires annuel de 48G$.

En ce Mois de l’économie sociale, une interrogation est revenue dans nombre d’activités organisées dans le cadre de cette célébration par les 22 Pôles d’économie sociale répartis dans toutes les régions du Québec. Une interrogation lancinante, presque douloureuse, qui survenait lors de panels, midis-conférences et autres webinaires: «D’accord, c’est bien beau l’économie à dimension sociale, mais faire passer l’humain avant les profits, c’est vraiment payant?»

Selon Jonathan Girard, directeur, approvisionnement biens et services, d’Énergir, cette interrogation résulte d’«idées préconçues ou d’un manque de connaissance» à propos des entreprises d’économie sociale : «En faisant nous-mêmes affaire avec de telles entreprises, nous avons découvert qu’elles avaient des coûts compétitifs, de l’écoute pour nos besoins spécifiques et de la transparence dans leurs communications», dit-il.

Son conseil : «Faites votre propre analyse, posez des questions, rencontrez leurs clients et surtout, considérez-les comme toute autre entreprise à but lucratif. Vous découvrirez non pas des histoires d’horreur, mais des histoires à succès!», affirme-t-il.

Martin Massé, vice-président, développement durable, d’Aéroports de Montréal (ADM), est sur la même longueur d’ondes. Son entreprise souscrit à l’opération «Économie sociale: j’achète!» depuis 2017, ce qui l’a notamment amenée à signer en 2020 pour 4,6M$ de contrats avec des entreprises d’économie sociale. «Notre but premier était d’effectuer un virage vers une politique d’approvisionnement plus responsable», raconte-t-il. En faisant de ces entreprises-là des fournisseurs récurrents, ADM a découvert que cela se traduisait par des ententes de partenariat «hautement profitables». «Pour nous, pour notre communauté, pour l’économie d’ici», dit Martin Massé.

Béatrice Alain, la DG du Chantier de l’économie sociale, explique qu’il est erroné de croire que les entreprises d’économie sociale priorisent l’humain au détriment des profits. «Elles visent avant toute chose la pérennité de l’organisation, dit-elle. Si bien qu’en vérité elles ont toujours un œil sur les profits et l’autre sur l’humain.»

Un exemple concret est celui du Vélo Vert, une entreprise d’insertion sociale spécialisée dans le recyclage de vélos usagés qui est établie à Québec. Chaque année, elle accompagne une trentaine de personnes qui peinent à trouver et garder un emploi ; dans 98% des cas, il s’agit d’hommes âgés de 18 à 55 ans qui sont peu scolarisés (34% d’entre eux ont arrêté d’étudier au Secondaire 1), qui n’ont pas d’expérience professionnelle solide, qui parfois ont des problèmes de consommation (alcool, drogue,…), voire avec la justice. Vélo Vert les aide à adopter une attitude professionnelle au travail, en commençant par leur faire regagner confiance en eux-mêmes. «À l’issue du processus d’accompagnement de six mois, 80% des participants décrochent un emploi ou retournent aux études», révèle Luis Antonio Villamizar, le directeur général de Vélo Vert, avec une pointe de fierté.

Côté performance et finance, c’est également un succès : un chiffre d’affaires de 9M$; quelque 3 000 vélos recyclés et vendus par an; depuis 2011, l’ajout d’une autre activité, soit la récupération de barils de plastique provenant de l’industrie alimentaire, lesquels sont transformés en barils de récupération d’eau de pluie d’une capacité de 200 litres. «Nous sommes les fournisseurs, entre autres, de la Ville de Québec, qui permet aux gens d’en acheter au prix modique de 25$ alors qu’ils valent 80$, l’idée étant d’utiliser l’eau de pluie pour arroser son jardin de manière écoresponsable», indique Luis Antonio Villamizar.

Véronique Fournier, la directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal, le souligne, l’économie sociale permet de se doter de «villes à échelle humaine». «Mieux, elle favorise l’apparition, de manière générale, de milieux de vie résilients, participatifs et actifs», dit-elle, en précisant que «cette approche positive de l’économie est une source efficace de changements profonds de la société».