La pénurie de masques à l'éclatement de la COVID-19 avait ainsi symbolisé l'hyperdépendance à la Chine pour des produits de base. (Photo: 123RF)
Paris — Après le village mondial, place au repli mondial? Face aux chocs de la guerre et de la pandémie sur les rouages de l’économie, l’avenir de la mondialisation est remis en question.
Dans une lettre à ses actionnaires jeudi, le patron du géant mondial de la finance Blackrock, Larry Fink, affirme que «l’invasion russe en Ukraine a mis un terme à la mondialisation que nous avons connue lors des trois dernières décennies».
Cette période, marquée par des politiques de dérégulation massive et la révolution numérique, a permis une circulation presque sans frontières des marchandises et des capitaux.
Mais la COVID-19 et la guerre en Ukraine ont jeté un froid sur certains principes de cette mondialisation: la spécialisation régionale, les chaînes de productions éclatées et les approvisionnements des entreprises sur des délais très courts. La guerre en Europe met aussi à mal l’argument selon lequel le commerce est vecteur de paix, soutenu au 18e siècle par Montesquieu.
Hyperdépendance
Avant la guerre déjà, «la connectivité entre nations, entreprises, et même entre les personnes avait été soumise à rude épreuve par deux années de pandémie», écrit Larry Fink.
La pénurie de masques à l’éclatement de la COVID-19 avait ainsi symbolisé l’hyperdépendance à la Chine pour des produits de base.
Un mois après le début de la guerre, le chaos dans l’économie mondiale fait désormais pression sur les prix et les approvisionnements en céréales, en pétrole, en gaz, et en matériaux stratégiques à l’image du cuivre.
«Un certain nombre de vulnérabilités» sont apparues, montrant les limites de l’éclatement des chaînes de production sur de multiples localisations, note auprès de l’AFP l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Pascal Lamy.
L’«autonomie stratégique» réclamée aujourd’hui en Europe pour l’énergie et les matériaux critiques, ou les investissements massifs des États-Unis dans les semi-conducteurs traduisent la priorité au repli régional, voire national.
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La guerre commerciale de l’ex-président américain Donald Trump contre la Chine en 2018 avait déjà remis en question le modèle de mondialisation. Son successeur Joe Biden a rappelé dans son discours sur l’état de l’Union début mars investir pour «s’assurer que tout, du pont d’un porte-avions à l’acier des glissières de sécurité des autoroutes, soit fabriqué en Amérique, du début à la fin».
«La pandémie n’a pas entraîné des décisions radicales de relocalisations, mais la guerre a un impact sur la façon dont les entreprises réfléchissent à leurs chaînes de production et leurs investissements», relève Ferdi de Ville, professeur à l’Institut des études internationales et européennes de Gand en Belgique.
«Elles ont réalisé que ce qui était inimaginable avant le mois dernier est devenu réaliste en termes de sanctions économiques massives», détaille le professeur, auteur d’un article sur «La fin de la mondialisation telle qu’on la connaît».
Il s’agit désormais de réorienter les dépendances stratégiques vers des alliés, selon lui, soit faire du «friend-shoring» en lieu et place du «off-shoring», à l’image de l’annonce vendredi d’un groupe de travail entre États-Unis et Europe pour réduire la dépendance envers les énergies fossiles russes.
À cet égard, «il n’y a pas de démondialisation», affirme Pascal Lamy, affirmant que celle-ci «est un animal extrêmement évolutif».
Découplage
Cet autre visage de la mondialisation fait en revanche naître le risque d’une déconnexion économique entre les pays occidentaux d’un côté, la Chine et ses alliés de l’autre.
La deuxième économie mondiale, qui n’a jusqu’ici pas condamné l’attaque de la Russie, risque un jour de se trouver en confrontation plus directe avec les États-Unis ou l’Europe, notamment sur le dossier de Taïwan.
«L’intérêt de la Chine n’est pas pour l’instant d’entrer en concurrence avec l’Occident», pense Xiaodong Bao, gérant de portefeuille au sein de la société d’investissement Edmond de Rothschild AM, car Pékin «a été depuis vingt ans le premier bénéficiaire de la mondialisation».
Mais la guerre en Ukraine est l’occasion de développer son autonomie financière, avec une moindre dépendance à la superpuissance du dollar. Le Wall Street Journal évoquait ainsi récemment des discussions de Pékin avec l’Arabie Saoudite pour acheter du pétrole en yuans et non plus en dollars.
«La Chine va continuer à construire des bases pour le futur», poursuit Xiaodong Bao. «Le découplage sur le plan financier est en train d’accélérer.»