Immigration temporaire: jusqu’à 13G$ pour la francisation
La Presse Canadienne|Publié le 14 février 2024Selon le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, «le rythme actuel d’apprentissage du français est insuffisant». (Photo: La Presse Canadienne)
L’explosion du nombre d’immigrants temporaires au Québec a «joué un rôle central dans la baisse du français», indique le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, dans un rapport déposé mercredi à l’Assemblée nationale.
Il ajoute qu’il en coûterait entre 10,6 à 12,9 milliards de dollars (G$) pour que «l’ensemble des immigrantes et immigrants temporaires complètent une formation de niveau intermédiaire en français».
«C’est un montant qui est assez élevé parce que l’apprentissage du français exige beaucoup d’heures. Environ une année d’études à temps plein», a indiqué le commissaire en point de presse à l’Assemblée nationale.
Benoît Dubreuil ne dit pas qui devrait payer de telles sommes. «Mais quelqu’un devrait le faire. Ça pourrait être le gouvernement en bonifiant son aide financière. Ça pourrait être les employeurs en libérant les travailleurs pendant leurs heures de travail ou ça pourrait être les universités en offrant davantage de bourses»a-t-il illustré.
«Finalement, ça pourrait être les personnes immigrantes elles−mêmes en coupant leur nombre d’heures travaillées ou encore en coupant sur leurs heures personnelles», a ajouté M. Dubreuil.
Il affirme également que «le rythme actuel d’apprentissage du français est insuffisant». «La plupart des immigrantes et immigrants temporaires qui ne connaissent pas le français ne se sont pas inscrits aux cours offerts par Francisation Québec. Parmi ceux qui se sont inscrits, plusieurs n’ont pas obtenu une place. Enfin, parmi ceux qui en ont obtenu une, la plupart n’ont suivi que des cours à temps partiel et pendant quelques mois, c’est−à−dire pendant une durée insuffisante pour apprendre à parler le français couramment», peut−on lire dans le document du commissaire.
«Nous estimons que le nombre d’heures réalisées en francisation, cette année, correspondait à environ 5 à 6% de celui qui serait nécessaire pour que tous les immigrants temporaires puissent parler français couramment», a expliqué le chien de garde de la langue française.
Également, 36 304 immigrants temporaires sont sur des listes d’attente pour avoir une place dans une classe de francisation.
Benoît Dubreuil n’a pas voulu se prononcer à savoir si la capacité d’accueil du Québec avait été atteinte ou même dépassée.
«Sur le plan linguistique, ce qui compte, ce n’est pas d’abord le nombre total de personnes. C’est beaucoup plus le profil des personnes à l’arrivée qui est déterminant. Donc si on veut que le français se maintienne, idéalement, ce qu’il faut, c’est qu’on ait la bonne composition d’immigration à l’arrivée», a-t-il affirmé.
«Historiquement, c’est énorme»
Le rapport indique que de 2016 à 2023, le Québec serait passé de 86 065 à 528 034 immigrants temporaires.
«De 2021 à 2023, la population non permanente qui ne connaissait pas le français aurait pratiquement triplé. En octobre 2023, elle se situait vraisemblablement entre 155 351 et 191 015 personnes», peut−on lire dans le document du commissaire.
Pour cette même période de temps, le commissaire estime dans son rapport que «la population ne connaissant pas le français et celle travaillant principalement en anglais auraient toutes deux augmenté d’environ un point de pourcentage».
«1% de baisse du français au travail, par exemple, en deux ans, historiquement, c’est énorme. En fait, je pense que c’est même incomparable», a affirmé M. Dubreuil.
Face à ces constats et aux sommes titanesques qui seraient nécessaires pour la francisation, le commissaire Dubreuil fait une série de recommandations dans son rapport.
Il suggère tout d’abord la mise en place d’un tableau de bord public pour suivre «l’évolution de la population non permanente au Québec et de ses caractéristiques, notamment linguistiques». Ce tableau de bord aurait pour but de «renforcer la planification, le suivi et l’évaluation des politiques» en lien avec l’immigration temporaire.
Le chien de garde de la langue française propose de développer en amont des filières de recrutement pour aller chercher de la main−d’œuvre francophone. Le gouvernement devrait aussi réfléchir à offrir une aide financière supplémentaire pour que les immigrants temporaires soient francisés avant leur arrivée au Québec.
Benoît Dubreuil fait sienne également une demande du gouvernement de la Coalition avenir Québec pour que les demandeurs d’asile soient mieux répartis à travers le Canada. Toutefois, le commissaire ajoute un élément: la répartition devrait se faire en fonction de la langue. En bref, le Québec garderait les demandeurs d’asile francophone alors que ceux parlant l’anglais seraient redirigés dans les autres provinces canadiennes.
Une dernière recommandation qui déplaît à Québec solidaire. «On souhaite une répartition équilibrée des demandeurs d’asile, mais les départs du Québec pour vivre ailleurs au Canada doivent se faire de façon volontaire et humaine. De plus, il existe des solutions comme revoir le modèle de l’immigration temporaire qui a explosé et d’offrir plus d’incitations aux demandeurs d’asile et à tous les nouveaux arrivants pour la francisation», a indiqué le responsable solidaire en matière d’immigration, Guillaume Cliche−Rivard, par courriel.
Thomas Laberge, La Presse Canadienne