Immobilier: «Tout le monde parle des critères ESG aujourd’hui!»
Kévin Deniau|Édition de la mi‑octobre 2022Annick Desmarteau, vice-présidente à l’exploitation des bureaux au Québec d’Ivanhoé Cambridge (Photo: courtoisie)
INFRASTRUCTURES ET GRANDS PROJETS. L’an dernier, dans le cadre d’un sommet immobilier, Natalie Voland n’en a pas cru ses yeux : une grande partie des conférences portaient sur des questions d’ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance). « Tout le monde en parle aujourd’hui alors qu’il y a 10 ans, je me battais pour qu’il y ait au moins une intervention sur le sujet », se rappelle la présidente du promoteur immobilier montréalais Gestion immobilière Quo Vadis, première entreprise québécoise à obtenir la certification B-Corp, marqueur des entreprises bénéfiques pour la société.
Et pour cause : le secteur serait globalement responsable de 38 % des émissions mondiales de CO2, selon l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction (GlobalABC), et ce, du fait de deux sources principales de pollution.
La première, appelée « carbone opérationnel », est liée à l’exploitation des bâtiments et à leur consommation énergétique de chauffage et de climatisation. Il s’agit d’un défi croissant pour de nombreux joueurs qui décident de prendre les devants. La société immobilière montréalaise Ivanhoé Cambridge ambitionne ainsi d’atteindre la neutralité carbone de son portefeuille en 2040. Une motivation qui se révèle aussi bien éthique que stratégique.
« Nous sommes convaincus que décarbonation et rendement de l’investissement financier vont de pair. L’objectif est d’avoir un avantage compétitif et de ne pas attendre que les réglementations nous rattrapent », indique Stéphane Villemain, vice-président à la responsabilité sociale d’entreprise de la filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec. « Les taux d’occupation et les primes à la revente sont supérieurs de 8 % quand l’actif est certifié LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) », constate-t-il, avant d’évoquer les « primes vertes » et les « décotes brunes » que l’on devrait voir à l’avenir, selon lui — les preuves d’une corrélation de plus en plus forte entre performance écologique et financière.
Le cycle de vie d’un bâtiment
La deuxième source de pollution provient de l’extraction des matières premières ainsi que de la fabrication, du transport et de l’installation des matériaux utilisés dans la construction. On parle alors de « carbone intrinsèque ». « Les plans gouvernementaux se concentrent essentiellement sur le carbone opérationnel, mais ce n’est que regarder la moitié de la photo », estime Hugo Lafrance, associé à la Division des stratégies durables du bureau d’architecture et de design Lemay. Pour lui, la réglementation doit aujourd’hui englober l’ensemble de la chaîne de valeur, voire du cycle de vie d’un bâtiment.
La Ville de Vancouver ambitionne par exemple de réduire le carbone intrinsèque des nouvelles constructions de 40 % d’ici 2030. Que pourrait-on faire ici ? Dans son plan de transition pour Bâtir un Québec plus vert publié début septembre, la FTQ-Construction recommande de favoriser les matériaux naturels et locaux, tout en essayant de remplacer l’acier, le ciment, la brique ou le bois non certifié, tous émetteurs d’importantes émissions de gaz à effet de serre… mais souvent moins chers.
« L’innovation seule ne résoudra pas ce problème global… mais on en a besoin pour réussir », plaide pour sa part Denis Leclerc, président d’Écotech, la grappe des technologies propres. Aux Îles-de-la-Madeleine, une nouvelle usine-laboratoire s’apprête à produire du « béton vert » réalisé notamment… de sable de dragage et de coquilles de crustacés ! À Montréal, l’entreprise CarbiCrete a pour sa part mis au point à l’Université McGill un béton sans ciment, et même négatif en carbone, c’est-à-dire qui arrive à séquestrer du CO2.
L’immense potentiel du recyclage
L’essor de l’économie circulaire au sein de l’industrie pourrait constituer une autre piste de solution. « Il y a un vrai défi autour de la rénovation : 80 % des bâtiments qui seront debout en 2050 existent déjà » illustre en effet Stéphane Villemain. « On ne parle d’ailleurs plus de démolition, mais de déconstruction désormais », ajoute Annick Desmarteau, vice-présidente à l’exploitation des bureaux au Québec d’Ivanhoé Cambridge.
Selon un rapport de Recyc-Québec paru en 2021, 3,4 millions de tonnes de matériaux de construction sont ainsi envoyées à l’enfouissement chaque année au Canada, ce qui constitue un immense gaspillage. L’acier, par exemple, matériau intégralement recyclable en soi, n’est seulement fabriqué au pays qu’à partir de 40 % d’acier recyclé.
Notons à ce sujet l’invention de la maçonnerie Gratton, à Montréal : une machine portative baptisée Brique Recyc qui, comme son nom l’indique, permet de recycler les briques sur un chantier. Le potentiel de décarbonation ? Près de six tonnes de GES par 1000 pieds carrés de mur de briques. Le défi de ce cercle vertueux réside désormais dans son passage à plus large échelle dans l’industrie du bâtiment.