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Inflation, vols et violence: les commerçants naviguent en eaux troubles

Jean-François Venne|Édition de la mi‑septembre 2024

Inflation, vols et violence: les commerçants naviguent en eaux troubles

«L’inflation reste le problème majeur dans notre secteur, car elle touche à la fois le consommateur et les entreprises», note Damien Silès, directeur du Conseil québécois du commerce de détail. (Photo: courtoisie)

COMMERCE DE DÉTAIL. Plusieurs bourrasques ont bousculé le commerce de détail ces dernières années. De la pandémie aux difficultés d’approvisionnement, en passant par la rareté de la main d’œuvre et la hausse de de la compétition, de l’inflation et des vols avec violence, le contexte reste compliqué. Miser sur la formation, opter pour des processus multicanaux ou pour l’intelligence artificielle: les commerçants n’ont pas d’autres choix que de trouver des solutions.

L’inflation continue de nuire à plusieurs détaillants, bien qu’elle ait glissé de 4,5% à 2,3% entre juillet 2023 et juillet 2024. « Beaucoup d’entreprises souffrent, notamment parce que les consommateurs reportent certains achats, estime Julien Troiville, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. C’est surtout le cas pour les dépenses qui coûtent très cher ou ne sont pas essentielles. »

En juin dernier, l’augmentation au Canada des ventes au détail de base (qui excluent les stations-service, ainsi que les concessionnaires de véhicules et de pièces automobiles) a été portée par les supermarchés et les épiceries (+ 1,8%), selon Statistique Canada. Les détaillants d’articles de sport, de passe-temps, d’instruments de musique, de livres et de détails divers ont plutôt vu leurs ventes baisser (- 0,8%).

« L’inflation reste le problème majeur dans notre secteur, car elle touche à la fois le consommateur et les entreprises », note Damien Silès, directeur du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). Alors que le pouvoir d’achat des clients diminue, les coûts de production et les salaires augmentent chez les détaillants. Or ils ne peuvent pas toujours transférer cette hausse de coût aux clients.

« Les commerces locaux se retrouvent aussi en compétition avec de gros joueurs internationaux, dont certains offrent des prix très bas, poursuit Julien Troiville. Nos marchés sont moins protégés qu’avant, notamment en raison du commerce en ligne. » Il estime que les gouvernements doivent décider s’ils veulent intervenir pour garder la compétition loyale et s’assurer que les entreprises étrangères ne profitent pas indûment de subventions publiques ou d’une main-d’œuvre à très faible coût. L’imposition, par le gouvernement fédéral, d’une surtaxe de 100 % aux véhicules électriques chinois va dans ce sens.

Satisfaire des clients exigeants

Damien Silès constate que l’on ne peut pas toujours compter sur les clients pour choisir un produit local. « Nous avons récemment effectué un sondage dans lequel 75 % des consommateurs nous disaient qu’ils préféraient acheter un produit québécois, mais lorsque celui-ci coûtait plus cher, cette proportion chutait à 15 % », raconte-t-il. 

Les consommateurs deviendraient aussi de plus en plus exigeants. « Ils veulent des produits de qualité, pas chers, qui arrivent rapidement et qu’ils peuvent acheter au moment et de la manière qui leur convient », souligne Jean-Luc Geha, directeur associé de l’Institut de vente, à HEC Montréal. Dans un tel contexte, l’expérience client constitue un facteur de distinction crucial. De plus en plus d’entreprises se tournent vers des processus de vente multicanaux, qui permettent de transiter de manière fluide entre un site Internet, une application mobile et un magasin physique.

« Le client cherche toujours ce qui est le plus avantageux pour lui, prévient Jean-Luc Geha. Plusieurs commerces offrent des produits et des prix semblables. Alors le choix du consommateur s’effectue sur la base des canaux d’achat et de l’expérience client. »

Guerres, vols et violence

Bien que la situation se soit nettement améliorée depuis la fin de la politique Covid zéro en Chine, la distribution peut encore souffrir de la géopolitique mondiale. La guerre en Ukraine ou plus récemment l’arrêt de la production de pétrole en Lybie en raison de tensions politiques font augmenter le prix du pétrole, et donc du transport de marchandises.

Les attaques des rebelles Houthis du Yémen sur des navires commerciaux dans le golfe d’Aden poussent en outre certains transporteurs à employer des itinéraires qui contournent l’Afrique par le sud. « Ces trajets plus longs gonflent le prix des conteneurs », explique Damien Silès. Le prix pour acheminer un conteneur de 40 pieds de l’Asie de l’Est vers la côte est nord-américaine a grimpé de plus de 45 % entre la fin mai et la fin août, selon l’indice de Freightos Baltic.

Les vols et la violence causent eux aussi des maux de tête aux commerçants. « On voit une très forte augmentation des vols d’objets d’une valeur de plus de 5000 dollars, ainsi que des voies de fait et des vols à main armée, notamment de la part de gangs de rue très organisés », explique Damien Silès.

Le directeur du CQCD s’inquiète par ailleurs de la lourdeur qui découle de la multiplication des lois adoptées récemment au Québec, par exemple celle sur la francisation et celle sur la protection des données et des renseignements personnels. « Ces lois viennent souvent d’une bonne intention, mais elles ne s’accompagnent pas des moyens nécessaires pour aider les petites entreprises à les mettre en place, déplore Damien Silès. C’est difficile pour des commerçants qui sont déjà aux prises avec d’autres défis. »