Y penser à deux fois avant de «coller» à cet indice... (Photo: Bruce Mars pour Unsplash)
CHRONIQUE. L’indice boursier S&P500, vous connaissez? Oui, c’est l’indice qui jouit de la plus grande visibilité dans les médias et il est communément considéré comme «le plus prestigieux des indices américains». À tel point que toute grande entreprise rêve d’en faire partie.
Mais voilà, est-il vraiment bénéfique pour une entreprise de figurer dans le S&P500? Certes, il y a le côté prestigieux de la chose, mais plus concrètement, cela lui rapporte-t-il quelque chose de tangible? Plus d’argent? Plus de revenus? Plus de clients?
Trois professeurs de finance – Benjamin Bennett, de l’Université Tulane à La Nouvelle-Orléans (États-Unis); René Stulz, de l’Université d’État de l’Ohio à Columbus (États-Unis); et Zexi Wang, de l’Université de Lancaster (Grande-Bretagne) – se sont posés la question. Et leur trouvaille, présentée dans l’étude «Does joining the S&P500 Index hurt firms?», a de quoi bousculer les idées reçues à ce sujet : il se trouve qu’être inscrit au S&P500… nuit aux entreprises concernées! (Et par suite, aux investisseurs eux-mêmes…) Explication.
Les trois chercheurs ont étudié les effets réels sur les entreprises d’être ajoutées à l’indice S&P500 entre 1997 et 2017, et si ces effets évoluaient dans le temps, ou pas. Et ce, en se disant qu’intégrer le S&P500 pouvait a priori avoir des effets positifs comme négatifs:
> Positif. Outre l’aspect prestigieux, cette intégration suscite un vif intérêt pour le titre boursier de l’entreprise, ce qui peut se traduire en une hausse de sa valeur.
> Négatif. L’entrée au S&P500 signifie une forte hausse des avoirs des investisseurs passifs. Or, ces investisseurs-là ne s’intéressent pas franchement à l’entreprise elle-même, mais plutôt à la catégorie dans laquelle elle figure (ex.: technologie de l’information, etc.). En conséquence, le titre de l’entreprise peut être massivement échangé sans que cela ait un rapport direct avec l’entreprise, ni avec ses fondamentaux. Ce qui peut l’expédier droit dans de périlleuses turbulences, indépendamment de ses forces et faiblesses.
Alors? Qu’en est-il vraiment du positif et du négatif? Voici le principal résultat de l’analyse minutieuse des trois chercheurs:
> Des rendements devenus négatifs. Les rendements des actions des entreprises du S&P500 changent «considérablement» au fil du temps. Ainsi, les entreprises inscrites dans la première moitié de la période d’échantillonnage (1997-2007) ont vu leurs actions afficher «un rendement anormalement positif» qui, de surcroît, s’est révélé durable. En revanche, celles inscrites dans la seconde moitié (2007-2017) ont vu leurs actions enregistrer «un rendement anormalement négatif» qui, lui aussi, s’est révélé durable.
Autrement dit, cela n’a pas été un bon coup pour les entreprises inscrites au S&P500 depuis 2007. Et par suite, pour les investisseurs qui ont misé sur celles-ci.
Comment expliquer une telle déconfiture? Les trois chercheurs ont fouillé dans leurs données et ont mis au jour plusieurs phénomènes simultanés:
> Un flou informatif qui se révèle néfaste. Lorsqu’une entreprise rejoint l’indice américain, elle acquiert un grand nombre d’investisseurs indifférents au prix de l’action. Du coup, les fluctuations du prix de celle-ci deviennent une information peu pertinente sur l’état de santé réel de l’entreprise, en tout cas «nettement moins qu’avant qu’elle n’intègre le S&P500». Ce qui entraîne une moins bonne information au sujet de l’entreprise, et ce flou finit par gêner les autres investisseurs, ceux qui sont actifs, au point parfois de ne plus trop savoir s’il est bon, ou pas, d’acquérir ou de vendre son action. Au final, ce sont des investissements conséquents qui se perdent.
> Une gouvernance moins performante. L’augmentation de la proportion des investisseurs passifs diminue la performance de la gouvernance de l’entreprise. Pourquoi ça? Parce que ces investisseurs-là sont, au fond, indifférents à la gouvernance de l’entreprise. Et parce que plus la proportion des investisseurs actifs diminue, moins ceux-ci sont enclins à influencer les activités et la direction de l’entreprise. Comme la pression est atténuée sur la haute-direction de l’entreprise, des décisions «inutiles» pour la performance de l’entreprise elle-même sont plus souvent prises. Un exemple frappant, mis au jour par l’étude : la rémunération globale du PDG et de ses lieutenants bondit, en général, de 25% après l’inscription à l’indice S&P500.
> Une fâcheuse tendance à l’imitation des concurrents. C’est humain, lorsqu’on intègre un groupe, on se compare aux autres membres. Et on cherche à copier ceux qui brillent le plus, dans le secret espoir de progresser, voire, un beau jour, de faire mieux qu’eux, de les dépasser au premier dérapage de leur part. Eh bien, c’est la même chose lorsqu’on intègre le S&P500: «Les politiques d’investissement, de financement et de paie des nouvelles venues tendent à copier celles qui évoluent dans la même catégorie de l’indice», notent les trois chercheurs. Du coup, on assiste à un effet de clonage qui, en vérité, est néfaste aux nouvelles venues : à trop copier les agissements de son voisin, on finit par tellement lui ressembler que ceux qui doivent choisir dans lequel investir y perdent leur latin, au point de se mettre à y penser deux fois avant de mettre leur argent dans les catégories jugées «trop homogènes».
Bon. La conséquence de tout ça? Elle est claire et nette: «La rentabilité des actifs (ROA, pour Return on Assets, en anglais) chute après l’intégration au S&P500», notent MM. Bennett, Stulz et Wang. Et ce, tout bonnement en raison du fait que l’entreprise concernée se montre moins performante qu’auparavant (dans sa gouvernance, dans ses décisions stratégiques, etc.). C’est un peu comme si ses hauts-dirigeants avaient dès lors le malheureux réflexe de se reposer sur leurs lauriers…
Le S&P500 est né en 1957. Depuis, il est l’indice de prédilection des investisseurs passifs, à l’image des gestionnaires de fonds indexés sur le S&P500, ou encore des investisseurs indiciels, dont l’objectif est de «coller» leur performance à celle du principal indice américain.
Le hic? Comme nous l’avons vu, cela n’est pas la meilleure stratégie d’investissement qui soit. Car la simple inscription d’une entreprise au S&P500 entraîne une baisse de performance significative de celle-ci, laquelle est accompagnée d’une baisse de la rentabilité de ses actions; et ce, pour des raisons à la fois financières et managériales. CQFD.
Bref, chers investisseurs, prenez garde au S&P500. À moins que vous ne le considériez comme l’indicateur d’entreprises dont la performance – l’intérêt? – est vraisemblablement appelée à décliner…
En passant, l’écrivain français Frédéric Dard aimait à dire : «Les lauriers se trouvent beaucoup mieux à leur place dans un civet de lièvre que sur la tête d’un glorieux».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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