(Photo: 123RF)
Un texte d’Hugo Cordeau, étudiant au doctorat en économie à l’Université de Toronto
COURRIER DES LECTEURS. Le dernier budget fédéral retire les crédits pour l’exploration pétrolière, mais offre des déductions pour le développement des technologies de capture et de séquestration du carbone allant de 37,5% à 60% sur les investissements. Plusieurs ont souligné que c’était un mal pour un autre ou simplement une autre façon d’appuyer l’industrie pétrolière.
La capture du carbone serait-elle un leurre ? La réponse est plutôt nuancée.
Tout d’abord, il faut souligner que le montant absolu est bien moins important que la façon dont il est attribué. Effectivement, le premier promeut l’accroissement de la production et le second tâche de retirer du carbone dans l’atmosphère. En ce sens, ce n’est pas substituer un mal pour un autre, c’est une amélioration du système d’incitation. D’ailleurs, ce dernier est parfaitement en ligne avec les propositions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), contrairement au dernier projet de Bay du Nord.
Comme précisé dans un article précédent, les gaz à effets de serre (GES) de portée-3 — soit ceux issus de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que de la combustion du pétrole — représentent 85% des GES de l’industrie pétrolière. Son omission est le principal élément qui permet au gouvernement d’augmenter sa production de 34% et de clamer une réduction de 42% des GES émis entre 2020 et 2030, rapporte le National Post.
Je réitère que le gouvernement prévoit augmenter sa production de l’équivalent de 7 Bay du Nord, mais dit diminuer ses émissions de près de moitié.
Vous comprendrez que la capture du carbone joue un rôle dans cette «supercherie» ; c’est ce qui permet au ministre de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault de souligner que Bay du Nord sera carboneutre…
Être carboneutre seulement sur la production — soient uniquement 15% des GES causés par le cycle de vie d’un baril de pétrole — ce n’est qu’une diminution de 15%. Avec cette méthode de comptabilisation, si les pétrolières ont la capacité de capturer l’équivalent de 15% des GES totaux émis par un baril, elles pourront produire une quantité infinie et le gouvernement soulignera que cette industrie est carboneutre. Bref, vous comprenez l’absurdité de la chose.
Autre qu’être un bel exemple d’oxymore, le pétrole vert, n’est qu’une vue de l’esprit.
Du pétrole, ça pollue.
Imaginons que le gouvernement soit de bonne foi et règle ce problème. Est-il désirable de financer la capture du carbone?
Je crois que oui. D’abord, au vu de l’immobilisme de nos nations devant la crise climatique, investir dans ce genre de solution de dernier recours n’est pas absurde. C’est un peu comme le Hail Mary lancé par Brady lors du Super Bowl de 2018. Une bonne idée, mais on n’aimerait mieux pas en arriver là. (Indice : les Eagles en sont sortis vainqueurs ; les ballons devaient être bien gonflés).
Cela dit, un aspect non négligeable de la capture est de faire bénéficier les parties prenantes de l’industrie à cette transition énergétique. Cela peut sembler contre-intuitif, mais si agir pour la transition énergétique signifie une ère morose, les citoyens tâcheront de l’éviter. C’est probablement ce qui explique que l’Alberta et le Manitoba sont les provinces canadiennes où les citoyens croient le moins que les changements climatiques sont causés par les activités humaines, alors que le Québec est celui où les citoyens croient le plus.
Les psychologues et politologues en concluent que ce déni est un moyen de se sortir de la dissonance cognitive ; il est plus facile d’accepter un mensonge que d’accepter que ce qu’on fait est mal.
Il est donc primordial d’accompagner les provinces productrices de pétrole. Non seulement par la capture du carbone – chose à laquelle l’industrie pétrolière possède une certaine expertise —, mais également en finançant des projets verts tels que les énergies renouvelables.
En conclusion, la capture du carbone fait partie des solutions, mais celle-ci sera contre-productive si nous ne corrigeons pas la faille béante du plan climatique du Canada, l’omission de la portée 3 dans les calculs de GES causé par l’industrie pétrolière. Il est primordial de diversifier notre économie et de diminuer notre dépendance au pétrole. Vous comprendrez donc qu’accepter de nouveaux projets pétroliers n’est pas une solution. C’est une erreur.