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La carotte ou le bâton pour vacciner le personnel de la santé?

La Presse Canadienne|Publié le 28 avril 2021

La carotte ou le bâton pour vacciner le personnel de la santé?

Le taux de vaccination des travailleurs de la santé avait augmenté de 20% depuis le 10 avril. (Photo: 123RF)

La stratégie du bâton pour vacciner plus de travailleurs de la santé au Québec inquiète certains experts en santé publique et dirigeants syndicaux, qui croient que le gouvernement devrait plutôt miser sur la carotte. 

Mais cette stratégie fonctionne, se réjouit le ministre de la Santé. Christian Dubé a écrit mercredi sur Twitter que le taux de vaccination des travailleurs de la santé avait augmenté de 20% depuis le 10 avril — lorsque son gouvernement a publié un décret exigeant que ces travailleurs soient vaccinés, sans quoi ils devraient se faire tester au moins trois fois par semaine.

Ceux qui refuseraient pourraient être réaffectés «dans un milieu non visé», ou suspendus sans solde si la réaffectation n’est pas possible ou si le travailleur la refuse. M. Dubé déclarait aussi mardi que le décret s’appliquerait à tous les foyers privés de soins de longue durée.

«Notre offensive « vacciner ou dépister » fonctionne: 75% du personnel infirmier est vacciné», a écrit mercredi matin le ministre Dubé, qui souhaiterait que 80 ou 85% des travailleurs de la santé soient vaccinés. «Record de 8 000 rendez−vous des travailleurs de la santé prévus aujourd’hui», ajoute−t−il.

La campagne de vaccination au Québec a entraîné une forte baisse du nombre et de la gravité des éclosions dans les centres hospitaliers et de soins de longue durée (CHSLD), où environ 88% des résidants ont maintenant reçu au moins une dose, selon le gouvernement. Mais les experts qui conseillent le gouvernement craignent que les travailleurs de la santé qui ne seraient pas vaccinés ramènent le coronavirus dans ces CHSLD. Le ministère de la Santé a déclaré la semaine dernière que 65 % des travailleurs de la santé des CHSLD publics et 60% des CHSLD privés avaient reçu au moins une dose.

 

La carotte plutôt que le bâton?

Jeff Bagley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux, qui représente des travailleurs du public et du privé, à la CSN, n’est pas certain qu’un décret ministériel soit la bonne approche. «Je pense que la sensibilisation et l’accessibilité donnent de bien meilleurs résultats», déclarait−il mardi en entrevue.

Depuis plus d’un an, les travailleurs de la santé ont été constamment «frappés par des décrets ministériels», a déclaré M. Bagley, citant notamment les vacances annulées et les heures supplémentaires obligatoires. Le leader syndical s’inquiète tout de même du taux de vaccination de ses membres. «Ce n’est pas seulement une affaire individuelle: c’est aussi un problème de santé et de sécurité.»

La docteure Sharon Straus, gériatre et épidémiologiste clinique à l’hôpital St. Michel de Toronto, qui s’est penchée sur ces «hésitants à la vaccination», croit que les campagnes devraient jouer de la carotte plutôt que du bâton. «Comment pouvons−nous répondre aux questions et aux préoccupations des hésitants, afin qu’ils se sentent à l’aise pour se faire vacciner?», dit−elle. «Il faut trouver des façons d’apaiser leurs inquiétudes.»

Le syndicaliste Bagley croit qu’un certain nombre de facteurs ont pu conduire les travailleurs de la santé à ne pas se faire vacciner. Certains ont déjà attrapé la COVID−19, comme des milliers de travailleurs de la santé, et n’ont pas réalisé qu’ils avaient également besoin de se faire vacciner, suggère−t−il. D’autres étaient malades, à la maison, avec la COVID−19, ou en isolement préventif lorsque leur tour est venu en milieu de travail.

M. Bagley rappelle que le gouvernement a récemment recommencé à vacciner les travailleurs de la santé sur leur lieu de travail, avec des résultats positifs. «L’accessibilité aide certainement à s’assurer que les gens se font vacciner.»

 

Pour voyager, pour les proches

Une femme qui travaille comme préposée dans un CHSLD de Montréal a raconté son histoire à La Presse Canadienne à la condition qu’elle ne soit pas identifiée, parce qu’elle n’était pas autorisée à parler aux médias. Elle a dit qu’elle avait reçu le vaccin il y a deux semaines parce qu’elle souhaitait voyager à l’avenir et qu’elle pensait qu’une preuve de vaccination serait alors nécessaire. Et ça aiderait également certains membres de sa famille à se sentir en sécurité, a−t−elle ajouté.

Mais elle ne s’était pas fait vacciner plus tôt, parce qu’elle s’inquiétait des effets secondaires, a−t−elle admis mardi. La direction de son CHSLD l’encourageait à le faire, mais elle admet que répondre aux préoccupations patronales n’avait pas joué un rôle majeur dans sa décision.

Ève Dubé, chercheuse à l’Institut de santé publique du Québec, s’attend à voir plus d’hésitations à mesure que l’on arrivera vers les plus jeunes dans la liste de priorisation — les personnes âgées sont plus portées à se faire vacciner en général, expliquait−elle en entrevue lundi. «Les jeunes générations sont moins familières avec ces maladies que l’on peut prévenir grâce à la vaccination — la polio, par exemple.»

Il reste que l’hésitation à l’égard des vaccins semble en baisse marquée dans la population générale au Québec. Un sondage publié mardi par l’Institut de santé publique indique que 10% des Québécois hésitent aujourd’hui à se faire vacciner; c’était 20% avant la pandémie.