La consigne élargie au Québec: pourquoi est-ce si compliqué?
Sylvie Cloutier|Publié le 09 novembre 2023"Il est important pour moi de rappeler à ceux qui s'imaginent que l'extension de la consigne est assez simple à réaliser, d’un point de vue consommateur, alors que c’est bien loin d’être le cas de la perspective des détaillants, des producteurs, des distributeurs et des récupérateurs." (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. Récemment, j’ai participé au congrès annuel des détaillants en alimentation du Québec. Un thème en particulier était au centre des discussions, soit l’entrée en vigueur de la première phase de la consigne élargie, qui a débuté le 1er novembre. Cette phase concerne la récupération de tous les contenants de boissons prêtes à boire en aluminium de 100 millilitres à 2 litres. Certains de ces contenants étaient déjà consignés, mais beaucoup ne l’étaient pas. On parle ici de millions de contenants de plus.
Il est important pour moi de rappeler à ceux qui s’imaginent que l’extension de la consigne est assez simple à réaliser, d’un point de vue consommateur, alors que c’est bien loin d’être le cas de la perspective des détaillants, des producteurs, des distributeurs et des récupérateurs.
Défis de la consigne élargie
Sachant que la deuxième phase, prévue pour mars 2025, s’attaquera à tous les contenants de boissons prêtes à boire de 100 ml à 2 litres en plastique, en verre, en carton ou sous forme de multicouche – communément appelés « Tetrapack » – incluant les bouteilles de vin, les spiritueux, l’eau, le jus et le lait, la situation va se complexifier considérablement.
Avec la nouvelle réglementation adoptée en juillet 2022 comprenant des obligations réglementaires n’ayant aucune commune mesure avec la consigne connue jusqu’à maintenant, le système doit être repensé au complet.
Le Québec ne dispose pas actuellement de l’infrastructure logistique nécessaire pour collecter et recycler près de 5 milliards de contenants (le double de ce qui est consigné actuellement), fabriqués à partir de différentes matières.
Les points de dépôt habituels, dans l’ancien système de consigne, étaient les épiceries et les dépanneurs. Avec l’augmentation substantielle de la quantité des contenants consignés, la plupart des détaillants alimentaires ne disposent ni des équipements suffisants ni de l’espace requis pour collecter et stocker tous ces contenants à venir.
Les épiceries ne sont pas conçues pour gérer la récupération des contenants de boisson. Ce ne sont pas des centres de tri!
Leur principale mission est de vendre des aliments et de garantir la sécurité alimentaire, et non de gérer des contenants de boissons vides potentiellement insalubres.
De même, les fabricants d’aliments ne sont pas spécialisés dans les centres de tri et le recyclage de la matière. Pourtant, la responsabilité d’élaborer, de mettre en œuvre et de financer ce système repose désormais sur eux.
Toutes les lacunes du système actuel de consigne et de tri au Québec pèsent maintenant sur les épaules des fabricants de boissons.
Des enjeux de taille
Les obligations, les responsabilités et l’imputabilité de part et d’autre sont considérables, car selon la taille du magasin, celui-ci ne sera plus tenu légalement de reprendre les contenants consignés alors que de nouveaux joueurs en auront l’obligation.
Ça pourrait donc changer les habitudes de magasinage de certains consommateurs ce qui est un enjeu important pour les épiciers. Le règlement prévoit aussi que les détaillants visés pourront se regrouper pour remplir leurs obligations. La construction de plus ou moins 1500 centres de dépôts est donc prévue partout dans la province.
Imaginez deux minutes le fouillis!
Parce que tout est assez simple à ce jour… On rapporte les contenants de boissons consignés à l’épicerie de notre choix – qui est habituellement équipée pour recevoir le nombre actuel en circulation – et tout le reste des contenants recyclables sont déposés dans le bac de recyclage (bleu ou vert) pour ce qui est appelé la collective sélective.
La consigne élargie signifie aussi une augmentation du montant de la consigne et cela crée une incitation puissante à la participation au système, ce qui est bénéfique pour le taux de récupération si le contexte restait le même.
Mais comme de nombreux détaillants n’ont pas la capacité de stocker les retours ni l’obligation de le faire, les déplacements vers les «centres de dépôt» pourraient être plus compliqués surtout pour ceux qui doivent utiliser les transports en commun pour se déplacer.
Un pas en avant, sans doute
La consigne élargie au Québec représente un pas en avant vers le tri des matières à la source et la promotion du recyclage et de la durabilité, mais elle apporte également son lot de défis et de complexités, en particulier pour les acteurs de l’industrie alimentaire.
La mise en place efficace de cette politique nécessitera une collaboration étroite et patiente entre les différents acteurs afin de garantir son succès tout en minimisant les impacts négatifs sur les consommateurs et les entreprises.