Timothée Parrique, chercheur en économie à l’Université de Lund. (Photo: courtoisie)
Pour Timothée Parrique, économiste vedette des théories de la décroissance, le constat est clair : «À l’échelle de la planète, nous sommes déjà en surchauffe. On dépasse déjà la capacité de charge des écosystèmes.» Et cette surchauffe «provient principalement des pays du nord».
«La limite biophysique de la croissance, elle s’applique dans des pays en surchauffe écologique qui ne peuvent plus se permettre d’utiliser plus de ressources naturelles. Elle ne s’applique pas aux pays du sud, qui eux, ont encore de manière légitime le droit de mobiliser de l’énergie et des matériaux pour constituer une capacité productive qui leur permettrait de satisfaire leurs besoins», affirme l’économiste, qui était l’invité lundi matin de l’École de technologie supérieure dans le cadre de son Colloque sur la décroissance et l’ingénierie durable.
Autrement dit, selon Timothée Parrique, les pays les plus riches ont dépensé tout ce qu’ils pouvaient dépenser de ce qu’il y a de ressources disponibles pour combler leurs besoins. Et même beaucoup plus.
Les chiffres parlent. Ainsi, les 10% des personnes les plus nanties de la planète, qui accaparent 76% des richesses, représentent environ la moitié des émissions globales de carbone (48%). Mais elles ne subiront que 3% des effets des changements climatiques.
À l’opposé, les personnes les plus pauvres, soit la moitié de la population mondiale (quatre milliards de personnes), possèdent 2% des richesses et n’émettent que 12% des gaz à effet de serre. En revanche, ces personnes devront faire face à 75% des coûts des changements climatiques.
«Il y a un aspect éthique. Si on doit partager dans ce cas-là un budget carbone limité, alors comment se le partage-t-on et qui devrait avoir le droit d’utiliser le restant du budget carbone», demande-t-il.
«L’empreinte matérielle dans les pays riches est dix fois plus importante que celle dans les pays pauvres. Aujourd’hui, cela nous montre que ce sont les pays les plus riches qui monopolisent une grande partie des ressources naturelles.»
Plaidoyer pour une croissance négative
Autre constat mis de l’avant par l’économiste: la croissance sans fin n’a pas rempli ses promesses, bien que confortable pour celles et ceux qui peuvent en profiter. Autrement dit, les inégalités sociales dans nos sociétés sont toujours plus importantes. Et en parallèle, les écosystèmes toujours plus mis à mal.
Bien-être et écologie sont pourtant deux concepts qui n’ont pas à être placés en opposition. «La pauvreté n’est pas un problème de production, mais un programme d’allocation. Ce qui veut dire que théoriquement, vous pouvez vous permettre de produire et consommer moins sans que personne ne tombe sous le seuil de pauvreté.»
À partir de ce constat, la décroissance devient donc une stratégie qui doit s’appuyer sur la soutenabilité, la démocratie, la justice sociale et le bien-être. Mais avec un système qui sort du cadre du capitalisme dans lequel les sociétés occidentales sont construites depuis longtemps. Pour une raison toute simple, exprime Timothée Parrique. «Le capitalisme ne peut ni organiser sa décroissance ni déployer une économie stationnaire. Le capitalisme peut faire beaucoup de choses, mais pas ces choses-là.»
«Si nous n’arrivons pas aujourd’hui à faire baisser l’empreinte écologique totale tout en poursuivant des trajectoires de croissance nulle ou positive, il va falloir explorer des scénarios de croissance négative», poursuit-il.
«La décroissance comme stratégie, c’est une sorte de grand régime macroéconomique où l’on accepte de ralentir et de réduire la taille de l’économie dans son ensemble, mais on se lance ce défi que cette réduction sera sélective. Parce que le but est d’alléger l’empreinte écologique. Donc cette réduction sera temporaire. On passe d’une économie trop grosse en surchauffe écologique à une économie qui aura une taille proportionnelle, qui puisse tenir la capacité de charge des écosystèmes.»
«Quand on fait un régime, on n’arrête pas de manger complètement», illustre-t-il.
«De toute manière, ce sera décroissance choisie aujourd’hui, ou effondrement subit demain. Quoi que vous vouliez protéger, ça sera plus difficile de le faire dans deux, cinq, dix ans avec des canicules tous les ans, des pandémies, des pénuries de métaux rares et d’eau et un changement climatique sauvage. Ce sera plus difficile de le faire qu’à travers une stratégie de prévention.»