Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

La montée du «flexipreneuriat»

Émilie Parent-Bouchard|Édition de la mi‑septembre 2022

La montée du «flexipreneuriat»

Mélissa Allard a démarré son entreprise de cosmétiques à base de plantes, Le Mélilot. (Photo: courtoisie)

ENTREPRENEURIAT. Le 9 à 5, puis le 19 à 22. Plusieurs nouvelles entreprises sont lancées en mode « flexipreneuriat », c’est-à-dire que les entrepreneurs sont nombreux à combiner le lancement de leur première entreprise avec un emploi stable. Discussions autour du phénomène et de ses limites avec des entrepreneurs qui ont fait ce choix et une professeure en lancement d’entreprise.

Pour de nombreux « flexipreneurs », aussi appelés entrepreneurs hybrides ou à temps partiel, la journée de travail n’est jamais vraiment finie. Le phénomène est particulièrement répandu au Québec selon le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) : 82,7 % des femmes entrepreneures émergentes combineraient leur activité entrepreneuriale avec un emploi, contre 80,5 % chez les hommes dans la province et 67,7 % au pays, tous sexes confondus. 

Parmi les raisons évoquées par ces travailleurs à heures supplémentaires non conventionnées, le maintien d’une sécurité d’emploi et d’avantages sociaux, mais aussi le désir de ralentir.

« Depuis je dirais trois ans, il y a vraiment une recrudescence du nombre de jeunes femmes et de certains profils [de professionnels]. Beaucoup de professeures, des personnes qui travaillent dans le milieu de la santé avec de gros diplômes et beaucoup d’années d’étude qui sont en train de remettre en question leur plan de carrière », constate Isabelle Hallé, enseignante en lancement d’entreprise au Centre de formation professionnelle (CFP) Le Granit à Lac-Mégantic.

Contrôler son horaire, privilégier la qualité de vie et chercher le bonheur sont des concepts évoqués par plusieurs futurs entrepreneurs, note-t-elle. « Très peu la quête de l’argent, de la richesse. On voit dans la région des affiches “Fermé pour repos avec les enfants”. Je trouve ça fascinant : il y a vraiment un besoin de se réaliser, mais pas à n’importe quel prix », précise l’ancienne directrice de la Chambre de commerce et d’industrie Région de Mégantic.

 

Casser le rythme du métro-boulot-dodo

Isabelle Hallé souligne que les changements de cap professionnels émergent parfois « dans la douleur ». À ce titre, la pandémie a été un « catalyseur » pour plusieurs. Un arrêt de travail peut aussi être un déclencheur à dire « Bye bye boss ! », ajoute-t-elle, notant au passage qu’elle observe régulièrement une période de valse-hésitation des futurs entrepreneurs avant d’en arriver à rompre totalement les liens avec leur employeur.

« Il y a eu un arrêt maladie qui a duré six mois et à mon retour, j’ai fait la demande d’être au travail à trois jours semaine », confirme Mélissa Allard, éducatrice spécialisée jointe deux jours avant son départ du réseau de la santé, après trois ans à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), un retour au travail dans d’autres fonctions au sein d’un CLSC et son inscription « sur un léger coup de tête » à la formation en lancement d’entreprise offerte par le CFP Le Granit.

Après plusieurs mois de questionnements existentiels et d’entêtement à maintenir un emploi stable, elle s’est résignée à quitter celui-ci afin démarrer son entreprise de cosmétiques à base de plantes, Le Mélilot, qui concorde avec sa volonté de continuer à « aider les gens ».

Non sans faire la transition via un emploi « plus léger » et moins exigeant aux niveaux « intellectuel et émotionnel », selon elle. Occuper ce poste quatre jours par semaine lui libère une journée hebdomadaire pour se consacrer à son projet entrepreneurial.

« La gamme de produits sur laquelle je travaille présentement est vraiment pour la maternité et le post-partum, précise la mère de famille. L’autre volet de mes services concerne la consultation en naturothérapie, donc accompagner les mères en cheminement de grossesse avec les nausées et tous les petits bobos qu’elles peuvent vivre. »

 

Croître ou maintenir sa qualité de vie: le dilemme

La travailleuse sociale Magalie Bellavance, qui a aussi suivi la formation au CFP Le Granit, conserve quant à elle son emploi au sein du réseau de la santé en parallèle de son entreprise de services en zoothérapie. Pour l’instant, du moins. 

« J’aime encore beaucoup apprendre de mes collègues, de leurs expériences, de leurs réflexions et de leur vision du métier. Je trouve que ça me permet de grandir encore comme intervenante et, en fin de compte, c’est bénéfique pour mon entreprise aussi. »

Quitter son emploi pour se consacrer entièrement à son entreprise «fait partie des options », même si, « à court et moyen terme », elle préfère diminuer son nombre d’heures salariées. 

L’œuf ou la poule, c’est un choix déchirant, analyse Isabelle Hallé, mentionnant que la position de « flexipreneur » peut parfois retarder la croissance de l’entreprise.

« Pour moi, les flexipreneurs, ce sont vraiment des entrepreneurs à part entière, parce qu’ils investissent tellement de temps dans leur entreprise en démarrage, plaide-t-elle. Ce sont nos entrepreneurs de demain, il faut les aider. Il faut leur donner une petite poussée de confiance pour qu’ils puissent se lancer ! »