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Philippe Leblanc

Entre les lignes

Philippe Leblanc

Expert(e) invité(e)

La pression des pairs

Philippe Leblanc|Publié le 12 novembre 2021

La pression des pairs

À l'époque, nous avions résisté à la tentation d'acheter des actions de Nortel. Je crois qu'il est sage de faire de même aujourd'hui pour Tesla. (Photo: Getty images)

EXPERT INVITÉ. Tout investisseur subira tôt ou tard la pression qu’exercent les marchés boursiers de se joindre à la parade.

Le souvenir le plus vif que j’ai du puissant phénomène de la pression des pairs remonte à la fin des années 1990, début 2000, et concernait plus spécifiquement le titre coqueluche qu’était alors Nortel. À l’époque, j’étais en contact avec un gestionnaire de portefeuille que je rencontrais régulièrement pour partager nos idées et notre point de vue sur les marchés boursiers nord-américains. 

Vous vous en doutez, à la fin des années 1990, la pression était énorme sur les gestionnaires de portefeuille de participer à la vague qui emportait tout ce qui s’approchait de près ou de loin de la technologie et en particulier d’Internet. Des sociétés aux activités très traditionnelles voyaient leurs titres s’envoler en ajoutant «.com» ou «web» à leur nom. 

Mais aucune pression n’a probablement égalé celle qu’a exercé le titre de Nortel sur les gestionnaires canadiens. Imaginez, emporté par la folie des technos, le titre de Nortel valait près de 35% de l’indice TSX 300 (aujourd’hui S&P/TSX). 35%! La Bourse de Toronto avait alors tenté de remédier à cette anomalie en créant une variante de son indice boursier phare, ce qu’on appelait le TSX 300 Capped, qui limitait la pondération du titre de Nortel à «seulement» 10%.

Que peut faire dans une telle situation le gestionnaire de portefeuille dont le poste dépend ni plus ni moins de sa capacité à obtenir des rendements qui ne s’éloignent pas trop de ceux des indices auxquels il est comparé?

C’est une situation sans issue où il est presque impossible de gagner. Si l’on n’achète pas le titre de Nortel et qu’il continue de s’apprécier, on aura l’air fou. Si on l’achète (à près de 35% de son portefeuille) et que le titre corrige par la suite, on aura aussi l’air fou, voire pire. Le gestionnaire avec qui je discutais régulièrement avait pris une décision mitoyenne: investir dans Nortel, mais dans une proportion un peu moindre que l’indice canadien. 

La situation me rappelle beaucoup celle que nous vivons aujourd’hui, en particulier avec le titre de Tesla. Depuis qu’il a été ajouté à l’indice phare américain, le S&P 500, il y a quelques mois, le titre s’est fortement apprécié. À tel point que sa capitalisation boursière surpasse maintenant la barre de 1 billion de dollars US (1 000 milliards $US). Son poids dans l’indice a récemment atteint 2,8%. On est bien loin de Nortel dans l’indice canadien, mais la pression sur de nombreux gestionnaires et investisseurs d’acheter le titre de Tesla devient irrésistible. 

À l’époque, nous avions résisté à la tentation d’acheter des actions de Nortel. Je crois qu’il est sage de faire de même aujourd’hui pour Tesla ou tout titre ou catégorie d’actif (cryptomonnaie?) qui promet de doper ses rendements à court terme.

Bien que la décision de ne pas toucher au titre de Nortel (ou aux autres titres technos à la mode) nous a fait mal paraître pendant quelques années, j’étais alors convaincu que c’était la décision qu’un «bon père de famille» devait prendre. Je ne me laisserai pas davantage tenter aujourd’hui par les placements à la mode du jour.

 

Philippe Leblanc, CFA, MBA

Chef des placements chez COTE 100