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La rhétorique de l’éco-taxe

auteur-576|Publié le 22 avril 2021

La rhétorique de l’éco-taxe

(Photo: 123RF)

Dans le cadre d’un concours organisé par le Comité Affaires Internationales de la faculté de droit de l’Université de Montréal, les étudiants de la faculté ont été invités à soumettre un texte d’opinion d’une longueur approximative de deux pages sur un sujet d’actualité dans les affaires internationales. L’objectif du concours était de réfléchir et rédiger sur un sujet dans ce domaine. Dans le but d’encourager la relève étudiante, le Groupe Les Affaires s’est associé au projet, s’engageant à diffuser le texte gagnant, que voici:


Rédigé par Justin Allard et Félix Huot-Richer, étudiants en droit à l’Université de Montréal

 

Le 25 mars dernier, la Cour suprême du Canada a donné raison au Parlement du Canada en matière de taxation sur le carbone dans un renvoi qui opposait ses intérêts à ceux des provinces pétrolières. Dans cette affaire, la Cour a statué que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effets de serre était constitutionnelle. Pour ce faire, elle a mis sur pied une nouvelle version de la fameuse théorie des dimensions nationales. Celle-ci permet qu’une compétence provinciale puisse être octroyée au fédéral si elle s’applique à des sujets d’intérêt national dont les provinces ne se préoccupent pas de manière adéquate. Comme cette théorie est plutôt controversée lorsqu’il est question de respecter l’esprit du fédéralisme, elle avait été mise de côté depuis de nombreuses années. Or, dans son récent jugement sur la «Taxe Carbone», la Cour suprême du Canada semble avoir trouvé une solution miracle. Elle concilie le respect du partage des compétences entre les différents paliers de gouvernement et l’intérêt national qui, en ce qui nous concerne, est qualifiable d’intérêt international: la protection de l’environnement.

C’est cette solution miracle qui permet de déclarer constitutionnelle la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effets de serre, et ce, sans enlever de pouvoir dévolus aux provinces; le meilleur des deux mondes. La décision du plus haut tribunal du pays fait de la nouvelle loi fédérale une sorte de «filet de sécurité». Il ne s’agit en fait que d’un seuil minimum que les provinces doivent respecter en matière de réglementation sur les gaz à effet de serre (GES). Si les provinces souhaitent être plus exigeantes que la législation fédérale, elles peuvent toujours le faire grâce à la théorie du double-aspect. Grosso modo, celle-ci permet aux gouvernements provinciaux et fédéraux de légiférer concurremment sur un même sujet et grâce à une même compétence, tant et aussi longtemps que leurs mesures et objectifs respectifs sont conciliables.

Le Canada, avec sa Taxe Carbone, n’est pas le seul pays à mettre en place un tel système. Effectivement, de nombreuses juridictions ont aussi établi des réglementations similaires afin d’assurer une réduction de leurs émissions de GES. La logique à l’origine de telles mesures est simple: d’un point de vue économique, les individus et les entreprises n’ont pas intérêt à prendre en considération les externalités négatives dans leurs choix. Par externalité négative, nous entendons toute nuisance causée à un tiers par une activité économique sans être assumée par les agents. En d’autres termes, c’est lorsque «les prix courants ne reflètent pas le coût réel des biens et services et que le système n’évolue pas vers le véritable optimum social» (1). En ce qui nous concerne, ce sont les émissions de GES qui ne sont pas incluses dans le coût des activités économiques. Ultimement, c’est la collectivité qui en paye le prix. À l’échelle mondiale, cela donne des résultats catastrophiques, notamment une crise climatique imminente. Afin de remédier à ce problème, l’économiste Arthur Pigou avait proposé d’imposer des taxes visant à internaliser le coût des externalités négatives dans les transactions. Vieille de plus d’un siècle, la vision pigouvienne est donc le fondement des taxes sur le carbone.

Toutefois, un vif tour d’horizon nous permet de constater que la solution pigouvienne, malgré toutes ses bonnes intentions, ne permet pas le changement draconien dont nous avons besoin en matière environnementale. En Europe, il n’existe pas de prix plancher à la consommation de carbone: son prix oscille constamment (entre 19 et 29 euros par tonne en 2019) et des permis sont même offerts gratuitement à certaines entreprises afin d’éviter que celles-ci délocalisent leur production vers des cieux moins exigeants en matière environnementale.

Jusqu’à tout récemment, le régime de taxation des GES de la Chine, le pays le plus pollueur du monde, ne réglementait pas l’émission de carbone. Drôle de concept, quand on y pense. Chez nos voisins du Sud, seulement onze États représentant un peu plus du quart de la démographie américaine réglementent avec succès les émissions de carbone sur leur territoire. Sans surprise, le gouvernement fédéral n’a, quant à lui, imposé aucune contrainte en la matière. Lorsqu’on compare, on se console… mais pas trop. La situation actuelle au Canada n’est guère plus enviable. En effet, le prix plancher actuel du carbone au Canada n’est que de 40$ par tonne. Selon le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, les effets d’une tarification aussi basse sur les émissions de GES sont voués à être marginaux.

D’un point de vue plus optimiste, ce prix plancher augmentera progressivement d’année en année jusqu’à atteindre l’ambitieux seuil de 170$ par tonne au plus tard en 2030, de manière à réduire d’environ un tiers les émissions actuelles et, donc, d’atteindre les objectifs fixés à l’échelle nationale.

Dans la même optique, les députés de l’Union européenne nous ont redonné espoir en mars dernier. Ils ont voté en faveur de l’application d’une Taxe Carbone sur les importations frontalières équivalente à celle applicable aux produits locaux. Nous espérons que cette décision politisée saura encourager la communauté internationale à agir similairement. De son côté, la Chine a finalement lancé son premier système de pollueur-payeur relatif au carbone le 1er février dernier, à notre grand soulagement.

En somme, malgré l’insuffisance flagrante des mesures environnementales canadiennes et internationales visant l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris, nous estimons que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effets de serre constitue une avancée cruciale, tant d’un point de vue juridique qu’économique. La décision rendue par la Cour suprême en mars dernier est venue établir des bases solides en matière de jurisprudence environnementale sur lesquelles le système juridique canadien pourra s’appuyer. La Taxe Carbone a permis, dans une certaine mesure, de réaligner les incitatifs économiques privés avec les intérêts environnementaux collectifs. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à Tesla qui, en 2020, a généré 1,58 G USD à l’aide de la vente de crédits de carbone. De prime abord, ces chiffres peuvent sembler impressionnants, mais à quoi bon être profitable si «La terre est une poubelle en feu» (2)?

(1) MacKaay, E., & Parent, A. (2015). Précis d’analyse économique. La Grande École.p.121

(2) Bérard, Frédéric. La terre est une poubelle en feu. Montréal, Canada, Éditions Somme toute, 2020.

 

Bibliographie

Agence du revenu du Canada. (2020, 1 avril). Taux de la redevance sur les combustibles – Canada.ca. Gouvernement du Canada.

Gobeil, M. (2019, 23 mai). Une taxe sur le carbone, ça fonctionne? Radio-Canada.ca.

Pigou, Arthur Cecil. The Economics of Welfare. Londres, Royaume-Uni, Macmillan, 1924.

Parry, Ian. « Quatre graphiques pour illustrer le système canadien de tarification de la pollution par le carbone ». IMF, 18 mars 2021.

Renvoi relatif a  la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz a  effet de serre, 2021 CSC 11.

Reporterre. « Les eurodéputés votent une “ taxe carbone” aux frontières, mais affaiblie ». Reporterre [Paris, France], 12 mars 2021, reporterre.net.

Tesla. (2021, Janvier). Q4 and FY2020 Update. NASDAQ.