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La taxe fédérale sur l’investissement

Daniel Dufort|Mis à jour hier à 21h02

La taxe fédérale sur l’investissement

«Bref, la prochaine fois que l’on vous dira que les riches devraient payer leur juste part, commencez par demander qui sont vraiment « les riches ». Il est bien possible qu’un jour ce soit vous.» (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. De nombreux propriétaires de petites entreprises, de terres agricoles et de simples duplex avaient les yeux rivés sur Ottawa la semaine dernière.

Cette semaine forte en émotion avait débuté sur une note dramatique, alors que la ministre des Finances Chrystia Freeland brossait le portrait d’une société au bord de l’insurrection. Sans une nouvelle taxe visant les « très riches », les mieux nantis au pays devraient bientôt se réfugier dans des résidences sécurisées et se déplacer en avion afin d’éviter la grogne populaire.

Cette sortie pour le moins colorée de la ministre fédérale visait à faire la promotion de l’augmentation du taux d’inclusion de l’impôt sur le gain en capital. La ministre et les défenseurs de cette politique, dont certains éminents syndicalistes, se sont époumonés à tenter de convaincre le bon peuple que seul le 0,13 pour cent le plus fortuné serait affecté par une telle mesure.

Mais est-ce vrai? Évidemment que non. Ce n’est même pas en banlieue de la vérité.

L’éminent professeur Jack Mintz s’est penché sur la question et a démantibulé de façon éloquente la supercherie du fédéral. En effet, le choix du 0,13 pour cent est une stratégie de communication politique visant à cacher le fait ce sont 4,3 pour cent des Canadiens et Canadiennes qui devront une fois dans leur vie faire les frais de cette mesure.

C’est parce que la majorité de ceux et celles qui déclarent des gains en capital élevés dans une année ne le font qu’une fois dans leur vie. En 2011, par exemple, 25 100 Canadiens et Canadiennes ont déclaré des gains en capital supérieurs à 250 000 $. Parmi ceux-ci, les deux tiers n’ont pas déclaré de tels gains à nouveau au cours des 10 années suivantes.

Cela s’explique par le fait qu’il s’agit ici de gens qui ont favorisé certains types d’investissements plutôt que d’autres. C’est un couple qui a investi dans un duplex et le vend en arrivant à la retraite, par exemple. Ou une famille qui vend son chalet. Ce ne sont pas des gens qui manqueront un repas à cause de cette hausse d’impôt, certes, mais on est loin des gens qui se déplacent en jet privés décrits par la ministre Freeland.

Ce ne sont donc pas les 40 000 personnes indiquées par le fédéral, mais bien 1,26 million de nos concitoyens. En somme, c’est 33 fois plus de gens que ce que le gouvernement veut bien vous dire. Il ne s’agit pas d’une bête erreur. Après tout, on s’en rendrait rapidement compte si l’on avait ramené de l’épicerie 33 pintes de lait plutôt qu’une.

Mais l’indication la plus claire du véritable nombre de gens qui paieront pour cette mesure se trouve ailleurs. Elle se trouve dans la colonne des revenus que le gouvernement croit être en mesure de retirer de cette mesure. Tout d’abord, la grande argentière du gouvernement misait clairement quelques ventes de feu puisque les revenus escomptés s’élèvent à 6,7 milliards de dollars pour cette année.

Or, ce montant fond de moitié pour l’année qui suit. Et la troisième année, il ne reste plus que 375 millions de dollars en revenus additionnels. Autrement dit, le gouvernement sait fort bien que cette mesure représente à terme un frein à l’investissement au pays. C’est moins d’investissements privés afin de moderniser des usines, former des employés et assurer une croissance.

En gros, c’est le niveau de vie des Canadiens et Canadiennes qui augmentera moins vite ou qui stagnera encore davantage pour un très grand nombre de nos concitoyens et concitoyennes de tous les horizons et de toutes les catégories de revenus. En réalité, il s’agit d’une mesure qui ne pourra que nuire à la mobilité économique et sociale.

Le cynisme de cette mesure et de la façon dont elle est communiquée par le gouvernement libéral a donc quelque chose de choquant. Cela est d’autant plus décevant que l’on s’attaque carrément à ce qu’il conviendrait de qualifier de « succès ordinaire », c’est-à-dire l’épargne réalisée par un individu ou un couple qui aura décidé d’investir dans un ou deux plex afin de financer leur retraite. C’est d’ailleurs le cas de nombreux Québécois et Québécoises.

Ce gouvernement fédéral tente donc de se refaire une certaine popularité en nous divisant. À les entendre, ce serait donc la classe moyenne contre les ultra-riches. Il s’agit d’un populisme de gauche franchement dangereux pour notre tissu social. On le mentionne très rarement, mais le 10 pour cent le plus aisé de la population paie déjà 54 pour cent de tous les impôts collectés au Canada. Le tout alors qu’il représente tout juste un peu plus du tiers des revenus.

Bref, la prochaine fois que l’on vous dira que les riches devraient payer leur juste part, commencez par demander qui sont vraiment « les riches ». Il est bien possible qu’un jour ce soit vous.

Ensuite, demandez-vous ce qui représente vraiment « une juste part »? Comme le signalait récemment le chroniqueur torontois Andrew Coyne, la ligne qui nous sépare de la confiscation pure et simple est parfois bien mince.