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La vie en dehors de la Bourse

Simon Lord|Édition de la mi‑septembre 2020

Une grande clameur de consternation s'élève chaque fois qu'une entreprise du Québec sort de la Bourse. Bien que le ...

Une grande clameur de consternation s’élève chaque fois qu’une entreprise du Québec sort de la Bourse. Bien que le retrait d’une inscription puisse à l’occasion être inquiétant, il s’agit aussi parfois d’une occasion de reprendre les rênes et de repartir en force. Comme dans le cas de Lumenpulse.

En 2017, à la suite de la publication, en mars, de ses résultats du troisième trimestre, l’entreprise longueuilloise, qui compte aujourd’hui 800 employés, voit son titre effacer près de 21,5 % de sa valeur en un seul jour. Le mois suivant, les journaux annoncent sa sortie de la Bourse. François-Xavier Souvay, le fondateur et PDG, rachetait l’entreprise avec d’autres investisseurs. Son entreprise s’y était inscrite en 2014.

Revers ou victoire ?

En rétrospective, François-Xavier Souvay est convaincu qu’il s’agissait du bon choix. «Depuis notre sortie, nous avons plus que doublé la profitabilité et nos ventes ont augmenté de 50 %, dit-il. C’est évident que c’était la bonne décision.» Une des raisons importantes motivant son choix était que ses obligations liées aux marchés publics étaient chronophages et commençaient à se transformer en distraction. «Neuf analystes suivaient notre titre. C’est beaucoup pour une petite capitalisation», dit François-Xavier Souvay. En conséquence, il était souvent sollicité pour des rencontres avec des investisseurs.

Par ailleurs, la nécessité de livrer des résultats trimestriels créait une culture du court terme. «Les gestionnaires commencent à mettre de côté des tâches qui ne contribuent pas aux résultats trimestriels, explique François-Xavier Souvay. Pourtant, il y a des choses qu’il ne faut pas mettre de côté parce que ce sont des décisions d’affaires importantes pour la réalisation du plan sur trois ans.»

La bonne décision… pour Lumenpulse

Les fluctuations du titre étaient une autre source de distraction. «La dernière année, le titre n’était pas bien soutenu par les analystes, et il avait perdu beaucoup de valeur, mais l’entreprise allait bien malgré tout. Nous avions zéro dette et 30 millions de dollars en banque», illustre François-Xavier Souvay.

Le président était bien conscient qu’il aurait pu rester en Bourse, ignorer les fluctuations et attendre ou espérer que le titre reprenne sa valeur. Il mentionne Couche-Tard, par exemple, qui a suivi une telle stratégie avec succès.

«C’est un choix valable, dit François-Xavier Souvay. Mais ça n’a pas été notre stratégie à nous. Je n’avais pas envie d’attendre deux ou trois ans pour que ça se replace. Alors on a racheté l’entreprise. Et on l’a fait avec une prime de 85 %, justement parce que l’action était d’autant sous-évaluée.» En somme il ne regrette pas sa décision d’aller en Bourse. Ce fut pour son entreprise une occasion de lever rapidement des fonds et de faire quatre acquisitions qui ont été bénéfiques. «Aller en Bourse, c’était la bonne décision, dit M. Souvay. Tout comme en sortir, d’ailleurs. La Bourse n’est pas une destination, mais bien un véhicule. Si j’avais à le refaire, je ferais certaines choses différemment, mais je le referais.»

Un retour vers le long terme ?

Selon Québec Bourse, entre janvier 2018 et juin 2020, 28 entreprises québécoises se sont retirées de la Bourse. Onze d’entre elles en sont sorties en raison d’un non-respect des exigences des marchés publics. Pour 12 d’entre elles, c’est plutôt une fusion-acquisition qui explique le retrait. Les cinq autres retraits ont été effectués à la demande de l’entreprise.

Mario Lavallée, professeur de finance à l’école de gestion de l’Université de Sherbrooke, estime que la réalité dont ces chiffres font état est préoccupante pour la finance. Lorsqu’une entreprise quitte la Bourse, c’est souvent parce que les marchés financiers «souffrent du syndrome du court terme» et que son équipe de direction veut penser à long terme «plutôt que de se concentrer à sortir des résultats» tous les trimestres.

«Ça indique qu’en finance, nous ne faisons possiblement pas notre travail correctement», dit-il. Mario Lavallée demeure toutefois optimiste pour l’avenir. À son avis, cette «dictature du court terme» est en perte de vitesse.

«Il y a une mouvance en gestion de portefeuille qui nous ramène vers le long terme, dit-il. Pensons par exemple à la finance durable ou à l’investissement responsable.»

François-Xavier Souvay, le PDG de Lumenpulse, croit que cette pression du court serait allégée si les entreprises étaient tenues de publier les résultats deux fois par année seulement plutôt que quatre. Cela se fait déjà à la Bourse de Londres.

Maher Kooli, directeur du Département de finance de l’ESG UQAM et titulaire de la Chaire Caisse de dépôt et placement du Québec de gestion de portefeuille, estime que cela pourrait être une piste de solution. Il convient toutefois qu’il s’agit d’un couteau à double tranchant.

«Un allègement du processus serait favorable pour les entreprises, dit-il. En même temps, ça fait moins de transparence et d’information pour les investisseurs.»

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À lire en exclusivité : Pour le retour des introductions en Bourse d’entreprises québécoises après la COVID-19, par Maher Kooli, titulaire de la chaire Caisse de dépôt et placement du Québec de gestion de portefeuille de l’ESG UQAM, et Claude Désy, avocat chez Dunton Rainville