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Lac-Mégantic, la capitale québécoise du fait main?

Ruby Irene Pratka|Publié le 13 novembre 2021

Lac-Mégantic, la capitale québécoise du fait main?

En avant, Sarah Girouard, Charles Rodrigue et Julie Morin. En arrière, William Leclerc et Jean-François Bussière, Louise Hodder, Éva Miron Bilodeau, Cécile Branco et Manon Ste-Marie. (Photo: courtoisie)

ÉCONOMIE LOCALE. Depuis le 6 juillet 2013, Lac-Mégantic est connue comme la ville de la catastrophe ferroviaire. Huit ans plus tard, les autorités municipales, en collaboration avec l’organisme sans but lucratif (OSBL) Quartier artisan (QA) et la société immobilière Vivacité, tentent de lui accoler un sobriquet plus réjouissant : la capitale québécoise du fait main. 

Pour y parvenir, les partenaires déploient depuis peu un programme qui, espèrent-ils, attirera une vingtaine d’artisans au cours des cinq prochaines années dans le secteur Fatima, au sud de la ville estrienne. Leur installation permettra de revitaliser cet ancien quartier ouvrier, ainsi que d’y développer un parcours touristique.

« Nous avons une forte tradition manufacturière à Lac-Mégantic, et plusieurs entreprises ont commencé avec le fait main, explique Charles Rodrigue, président de QA. C’est une région de bois et de granit, donc c’est intéressant sur le plan de la chaîne d’approvisionnement. » Le projet s’adresse « aux joailliers, aux ébénistes, aux luthiers et à tout le monde qui transforme des matériaux », résume-t-il.

 

Un projet scolaire devenue réalité

L’initiative est née en 2014 grâce à Cécile Branco et à Bernard D’Arche, deux étudiants à l’Université McGill. Dans le cadre d’un cours d’entrepreneuriat social, ils devaient concevoir un projet de dynamisation d’une région rurale. Encore ébranlés par les images de l’été précédent, ils ont choisi Lac-Mégantic. 

« On ne pensait pas que ce projet allait dépasser le cadre scolaire, mais pour mieux le développer, on a contacté des gens de la ville », se souvient Cécile Branco, qui siège aujourd’hui au conseil d’administration de QA. Leur proposition a donné naissance à un véritable projet d’incubateur de PME centrées sur l’artisanat. « Quartier artisan offre depuis 2016 des activités de formation en développement d’entreprise pour des artisans entrepreneurs de partout au Québec », explique Charles Rodrigue.

 

Un véritable quartier d’artisans

À l’aide du programme d’attraction lancé en septembre, l’OSBL facilite l’accès à la propriété dans le secteur Fatima pour les artisans qui souhaitent s’y installer. 

Grâce à un investissement municipal de 800 000 $ sur cinq ans, QA offre ainsi à tout artisan admissible une mise de fonds équivalente à 25 % de la valeur d’une maison (jusqu’à concurrence de 37 500 $), prêtée sans intérêt. Si ce dernier quitte la ville, l’OSBL récupère la mise de fonds et supervise la revente du domicile afin de s’assurer que le nouvel acheteur satisfait les critères du programme. L’organisme répertorie également les maisons à vendre dans ce secteur.

Pour intégrer le programme, l’artisan doit pratiquer son métier à temps plein, en tirer la majeure partie de ses revenus, être admissible à un prêt hypothécaire et soumettre un dossier de candidature comprenant entre autres un plan d’affaires, détaille la directrice générale de QA, Sarah Girouard. « Ceux qui sont choisis doivent s’engager à maintenir leur atelier dans leur maison et à s’impliquer dans la communauté », ajoute-t-elle. 

En contrepartie, en plus de la mise de fonds, ils auront accès à un espace de travail partagé au quartier général de QA — dont le bâtiment a été récemment acquis grâce à du financement municipal — ainsi qu’à du soutien pour s’installer et pour développer leur entreprise. Ils pourront aussi demander du financement additionnel auprès de la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) locale.

La mairesse de Lac-Mégantic, Julie Morin, croit que l’initiative peut contribuer à la redynamisation de sa ville, surtout dans le contexte de l’exode urbain postpandémique. « On a commencé à travailler sur le projet bien avant la COVID-19, mais on ressent quand même un certain « momentum » », souligne-t-elle.

 

Se rebâtir une vie

Pour Muriel Lassagne, la proposition est alléchante. Artisane vitrailliste basée à Montréal, elle rêve de quitter l’île depuis longtemps. « Je cherchais une région accueillante avec accès à la propriété, et je n’avais pas assez d’argent pour investir », explique celle qui a fait de l’entretien ménager pour subvenir aux besoins de sa famille tout en lançant son atelier. « Je me suis demandé comment j’allais faire pour avoir une maison, et là, j’ai ma réponse. » 

Muriel Lassagne, artisane vitrailliste (Photo: courtoisie)

Elle a découvert Lac-Mégantic l’année dernière. « Ça a été un coup de foudre, se rappelle-t-elle. Le quartier Fatima est tellement paisible, il y a l’accès au lac Mégantic et à la Réserve internationale de ciel étoilé [du Mont-Mégantic]. C’est inspirant. » 

Si elle est retenue par Quartier artisan, elle souhaite ouvrir son atelier aux touristes et y offrir des formations. Pour le moment, elle attend des commentaires sur son plan d’affaires avant de déposer son dossier final. 

Son but ultime demeure de reconstruire sa vie, à l’instar de sa ville d’adoption. « Quand j’ai commencé le vitrail, je me remettais d’une dépression majeure, raconte-t-elle. Je me sentais brisée. Quand je coupais les morceaux de verre, quand je les mettais ensemble avec de la soudure, c’était symbolique pour moi. À Lac-Mégantic, on peut toujours voir les traces de l’explosion… Je crois qu’il y a un lien à faire. »