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Le Canada se prononcera sur le sort de Meng Wanzhou en 2020

La Presse Canadienne|Publié le 06 janvier 2020

Le processus judiciaire viendra calmer un peu les esprits.

Les projecteurs internationaux seront braqués sur la Cour suprême de la Colombie-Britannique en janvier lorsque s’amorcera l’audience d’extradition d’une cadre supérieure du géant des télécommunications Huawei, Meng Wanzhou, plus d’un an après son arrestation.

La décision canadienne d’accéder à la requête américaine a causé un froid entre Pékin et Ottawa. En représailles, la Chine a arrêté et détenu deux Canadiens et restreint certains produits à l’importation comme le canola.

Si certains espèrent que le processus judiciaire viendra calmer un peu les esprits, d’autres souhaitent une intervention du ministre fédéral de la Justice David Lametti.

L’avocat Gary Botting, un spécialiste des questions d’extradition, dit que M. Lametti a le pouvoir d’arrêter le processus à tout moment.

«C’est vraiment idiot pour lui de dire qu’il doit obéir à l’état de droit parce que la cause est devant les tribunaux. C’est faux. Ce que dit la loi, c’est qu’il peut arrêter les procédures et que les tribunaux doivent alors se conformer à sa décision», soutient l’avocat.

La GRC a arrêté Mme Meng à l’aéroport de Vancouver le 1er décembre 2018 à la demande des États-Unis qui veulent la juger pour fraude. La directrice financière de Huawei nie ces allégations et reproche aux autorités canadiennes d’avoir violé ses droits lors de son arrestation.

Mme Meng est en liberté sous caution et vit dans l’une de ses deux luxueuses maisons de Vancouver. Une audience doit avoir lieu le 20 janvier; celle-ci portera sur le test de la double incrimination: ce que les États-Unis lui reprochent constituerait-il un crime au Canada?

Si le juge décide que ce n’est pas le cas, Mme Meng sera libre de quitter le Canada, mais elle devra toujours éviter les États-Unis si elle veut échapper à un procès. Si au contraire, le juge statue qu’il y a une double incrimination, les procédures passeront à une deuxième phase.

Celle-ci, prévue en juin, consistera à examiner les arguments de la défense qui accuse l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), la GRC et le Bureau fédéral d’enquête d’avoir comploté pour mener « une enquête criminelle secrète » à l’aéroport.

L’ASFC a détenu Mme Meng pendant trois heures, saisi ses appareils électroniques et ses codes d’accès avant de remettre le tout à la GRC. La Chinoise n’a pas eu accès à un avocat pendant sa détention tandis qu’un douanier l’interrogerait sur les activités de Huawei en Iran.

Un avocat du procureur général du Canada a rappelé que les agents de l’ASFC sont tenus par la loi de procéder à un examen d’admissibilité à tous les voyageurs entrant au pays. Il a toutefois reconnu que les codes d’accès avaient été remis à la GRC par erreur.

La crise aurait pu être évitée si l’ancienne ministre fédérale de la Justice Jody Wilson-Raybould avait décliné la demande américaine en premier lieu, soutient Me Botting. Le premier ministre Justin Trudeau a aussi reconnu avoir été mis au courant de l’arrestation avant qu’elle n’ait eu lieu.

«Jody Wilson-Raybould a eu tort sur ce point, tout comme le premier ministre.»

On ignore si un refus des autorités canadiennes aurait eu des graves conséquences entre les relations entre les deux pays nord-américains. Selon Me Botting, cela n’aurait pas été le cas, ni à l’époque, ni aujourd’hui.

«Une telle décision se serait perdue dans le dédale des choses insensées qui se produisent en Amérique du Nord, généralement dans le cadre des relations canado-américaines.»

De son côté, le ministère de la Justice dit que le ministre ne peut prendre une décision relative aux procédures jusqu’à ce qu’un juge donne son aval à l’extradition. Ce n’est qu’à ce stade que le ministre peut décider de remettre ou non le prévenu au pays qui en a fait la demande.

«Cela témoigne de l’indépendance du système judiciaire canadien», fait valoir le ministère.

Mme Wilson-Raybould, aujourd’hui députée indépendante, n’a pas répondu à une demande d’entrevue de La Presse canadienne.

Selon Yves Tiberghien, professeur de sciences politiques et expert en Asie à l’Université de la Colombie-Britannique, le ministre de la Justice peut légalement interrompre le processus à tout moment, mais dans la pratique, celui n’a pas utilisé ce pouvoir.

Il serait politiquement risqué d’intervenir maintenant, estime-t-il.

«Il est vrai que le coût de cette affaire est énorme. Essentiellement, les relations entre le Canada et la Chine sont au point mort au moment où le pays asiatique a la deuxième plus grande économie de la planète et est devenu le deuxième pays le plus puissant au monde.»

Mais d’un autre côté, le Canada aurait l’air de céder aux représailles chinoises s’il décidait d’interrompre les procédures.

M. Tiberghien ajoute que si les audiences se déroulent conformément au calendrier prévu, le ministre sera incité à attendre la décision du juge.

«Ce sera tellement plus juste si c’est le tribunal qui prend la décision. Cela ne fait aucun doute. C’est correct.»

Selon les données du ministère de la Justice, environ 88 % des personnes arrêtées au Canada à la demande du gouvernement américain ont été extradées chez l’oncle Sam de 2008 à 2018.