Plus tôt cette semaine, le ministre du Logement, Sean Fraser, a déclaré aux journalistes que le logement n’aurait pas dû faire partie des coupes budgétaires mises de l'avant par les gouvernements fédéraux au cours des années 90. (Photo: La Presse Canadienne)
Si une mère célibataire avec un nouveau−né se met aujourd’hui en ligne pour un logement subventionné à Toronto, son enfant risque de commencer l’école secondaire avant de l’obtenir.
Les temps d’attente moyens pour un logement subventionné à Toronto vont de huit à 15 ans, en fonction de l’unité demandée, selon les données de 2022 de la Ville.
La pénurie de logements est si grave que la métropole canadienne encourage les gens à considérer le logement subventionné «comme un projet à long terme, et non comme une solution immédiate».
Toronto est loin d’être la seule ville confrontée à une telle pénurie de logements: les longs délais d’attente illustrent parfaitement la déconnexion entre l’offre et la demande partout au pays.
Les habitations sans but lucratif et les logements sociaux sont généralement administrés par des organisations sans but lucratif (OSBL) et des villes, et visent à offrir un loyer abordable aux personnes à faible revenu qui ont du mal à payer les prix du marché locatif.
L’experte en logement Carolyn Whitzman estime que la pénurie de logements à but non lucratif remonte aux années 1990, lorsque le gouvernement fédéral a cessé d’investir dans ce secteur.
«Il y avait cette espèce d’idée que le secteur privé fournirait d’une manière ou d’une autre des logements pour les personnes à faible revenu, mais ça n’a jamais été vrai — et certainement pas au Canada», a déclaré Mme Whitzman.
De nombreux experts qualifient les années 1990 de période d’austérité budgétaire, lorsque les gouvernements fédéraux successifs, conservateurs et libéraux, ont tenté de contenir les déficits par des contrôles, des gels ou même des réductions des dépenses de programmes.
Plus tôt cette semaine, le ministre du Logement, Sean Fraser, a déclaré aux journalistes que le logement n’aurait pas dû faire partie de ces coupes.
«Pendant la majeure partie du dernier demi−siècle, les gouvernements fédéraux — libéraux comme conservateurs, soit dit en passant — se sont éloignés de la fourniture de logements abordables dans ce pays», a-t-il admis à Burnaby, en Colombie−Britannique. «Ça n’aurait jamais dû arriver, mais c’est arrivé.»
Le gouvernement libéral actuel essaie de recoller les pots cassés. Mais les experts et les organismes communautaires soutiennent que les sommes actuellement affectées au logement abordable sont bien loin des besoins réels.
Arguments moraux… et économiques
Plus tôt cette année, l’économiste de la Banque Scotia Rebekah Young recommandait dans un rapport de doubler le parc de logements sociaux au Canada. Bien que cela puisse sembler ambitieux, Mme Young soulignait que cette cible ne ferait que ramener le Canada à la moyenne des pays comparables de l’OCDE.
Selon les données du recensement de 2021, plus de 10% de la population — 1,5 million de personnes — avaient des «besoins impérieux de logement». Pendant ce temps, le logement social ne représente que 3,5% du parc immobilier total du pays, soit 655 000 logements.
Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), une personne est considérée comme «ayant un besoin impérieux de logement» lorsqu’elle doit consacrer plus de 30% de son revenu avant impôt à un logement qui répond à des «normes d’acceptabilité» (qualité, taille ou abordabilité).
«Les arguments moraux pour construire de toute urgence le parc anémique de logements sociaux au Canada n’ont jamais été aussi solides. Les arguments économiques sont tout aussi convaincants», concluait l’économiste Young.
Elle prévenait aussi que si les gouvernements tentent de répondre aux besoins des ménages à faible revenu avec divers transferts, le coût de ces prestations et programmes continuerait d’augmenter si le problème sous−jacent du logement n’est pas réglé.
Le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau tente de résoudre ce problème par le biais de sa Stratégie nationale sur le logement, saluée comme le retour du fédéral dans le domaine du logement.
Lancée en 2017, la stratégie a engagé plus de 80 milliards $ sur 10 ans dans des programmes administrés par la SCHL, dont beaucoup visent à accroître l’offre de logements abordables.
D’ici 2028, la stratégie promet de réduire de moitié l’itinérance, de sortir plus d’un demi−million de familles du besoin de logement et de construire jusqu’à 160 000 logements. Mais le succès du programme a été mitigé jusqu’ici.
Certains des échecs de la stratégie ont été mis en lumière dans un rapport du vérificateur général fédéral, l’automne dernier. Il a révélé que malgré l’engagement de réduire l’itinérance de 50%, Ottawa ne sait pas vraiment combien il y a exactement de sans−abri.
Les efforts déployés pour faire construire plus rapidement des logements abordables ne se sont pas non plus déroulés comme prévu. Un document préparé par la SCHL l’automne dernier montre que la majorité des unités approuvées n’avaient pas encore été construites, malgré l’objectif initial du programme de faire construire la plupart des maisons dans les 12 mois suivants.
Le PDG de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine, un groupe sans but lucratif qui travaille à faire progresser le logement social, convient que cette Stratégie nationale sur le logement était une étape importante.
«Cela dit, beaucoup de choses ont changé au cours des cinq dernières années, a déclaré Ray Sullivan. Les coûts de construction ont beaucoup augmenté, les taux d’intérêt sont beaucoup plus élevés, le besoin est beaucoup plus élevé.»
Selon M. Sullivan, l’un des problèmes est que l’Initiative pour la création rapide de logements a été déployée d’une année sur l’autre, offrant peu de stabilité aux fournisseurs de logements abordables. Et puisque les taux d’intérêt et les coûts de construction ont augmenté, les sommes initialement investies ne sont tout simplement plus suffisantes.
Financement fédéral «indispensable»
Pour les OSBL qui œuvrent dans ce secteur, le financement gouvernemental est primordial. Mais selon Jeff Neven, PDG d’un organisme de bienfaisance chrétien pour le logement abordable, la Stratégie nationale est devenue moins généreuse.
«Nous avons probablement 25 projets en ce moment qui ne peuvent pas aller de l’avant sans financement fédéral, et il n’y a actuellement aucune voie avec les programmes actuels pour aller de l’avant», a-t-il avoué.
Les conservateurs n’ont pas énoncé de position politique spécifique au logement sans but lucratif. Les néo−démocrates, quant à eux, pressent le gouvernement fédéral à dépenser plus d’argent dans ce secteur. Des mesures sur le logement ont également été incluses dans l’«accord de soutien et de confiance» conclue entre les libéraux et le NPD.
Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a proposé de créer un «fonds d’acquisition de logements abordables», pour aider les fournisseurs de logements communautaires à acquérir des immeubles locatifs sur le marché. Une proposition bien accueillie par le communautaire et par des experts en politiques publiques.
Cette semaine, l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance, l’Institut pour l’IntelliProspérité et REALPAC, un groupe national de l’industrie immobilière, ont collaboré pour publier un rapport contenant des recommandations sur la façon de mettre fin à la crise nationale du logement.
On recommande notamment de créer un fonds d’acquisition qui faciliterait les conversions de bureaux en logements, et qui aiderait les fournisseurs de logements à but non lucratif à acheter des projets de logements locatifs et des hôtels existants.
Au final, bon nombre de ces propositions de politiques publiques nécessitent des investissements beaucoup plus importants de la part du gouvernement fédéral.
Bien que les libéraux aient laissé entendre qu’ils auraient plus à dire sur le logement au cours de la prochaine année, M. Sullivan, de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine, craint qu’il n’y ait pas assez d’argent.
Au cours de la dernière année, le gouvernement fédéral a signalé qu’il tentait de limiter ses dépenses afin de ne pas alimenter l’inflation. Le plus récent budget était étroitement axé sur les investissements dans l’économie verte et les soins de santé, avec très peu de nouvelles politiques en matière de logement.
Nojoud Al Mallees, La Presse Canadienne