«Après tout, pourquoi risquer d’être exproprié au rabais à Gatineau lorsque l’on peut investir en plus grande sécurité de l’autre côté de la rivière des Outaouais? Encore une fois, poser la question revient aussi à y répondre.» (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. La nouvelle est passée quasi inaperçue.
À l’Assemblée nationale, les députés de tous partis ont adopté à l’unanimité deux projets de loi s’attaquant au droit de propriété des Québécois et Québécoises, soit le 22 et le 39, visant respectivement à réformer la Loi sur l’expropriation et la Loi sur la fiscalité municipale.
Avec le projet de loi 22, la ministre des Transports, Geneviève Guilbeault, nous donnait l’impression que la manœuvre était une modification réglementaire presque routinière, répondant à une demande de longue date des élus municipaux.
Pourtant, la nouvelle mouture de la loi risque d’appauvrir un bon nombre de Québécois et Québécoises, ainsi que de nombreuses entreprises d’ici.
C’est parce que le projet de loi 22, de l’aveu de la ministre, vise à réduire la compensation de ceux et celles qui sont visés par des procédures d’expropriation.
Au cœur du débat réside une question d’ordre morale: n’est-il pas normal que les municipalités ou autres instances gouvernementales doivent payer une prime afin de contraindre l’autre partie — le propriétaire légitime — à leur vendre un bien dont il n’avait nullement l’intention de se départir?
On serait porté à croire que poser la question reviendrait également à y répondre.
Après tout, que les gouvernements doivent payer une facture salée afin d’accaparer une propriété privée n’est pas une anomalie ou une faille du système. Au contraire, il s’agit d’un rempart contre l’arbitraire.
Jusqu’à tout récemment, c’est cette vision des choses qui prévalait dans les dossiers d’expropriations.
Des décennies de jurisprudence ont fait valoir qu’un propriétaire se faisant déposséder de force par l’État devrait obtenir une compensation supérieure à celle qui prévaut lors de la vente de cette propriété sur le marché immobilier, puisqu’il n’en choisit ni la forme ni le moment.
Pour les entrepreneurs, le projet de loi 22 se limite essentiellement à dédommager les expropriés pour la valeur marchande du terrain, sans prendre en compte l’effet sur les revenus et la profitabilité de l’entreprise.
Pourtant, pour bien des entreprises, si on coupe 20 pour cent du terrain, on coupe bien plus que 20 pour cent des profits.
C’est d’ailleurs ce que démontre le cas de Jean-Michel Gagnon — un producteur laitier saguenéen — dont 20 hectares de sa ferme sur un total de 140 sont visés par une procédure d’expropriation pour un projet de prolongement d’autoroute.
En coupant sa terre en deux, il est possible que sa ferme devienne non rentable. L’indemnisation qu’il recevrait n’en tient pas compte cependant, celle-ci se limitant à la valeur marchande de ses 20 hectares, sans prendre compte de sa perte de bénéfice.
Si la réforme de la Loi sur l’expropriation est dommageable, elle a le mérite de conserver une certaine compensation — bien qu’insuffisante — pour ceux et celles qui se font déposséder par l’État.
Bien que le projet de loi 39 ne vise pas directement l’expropriation, mais bien la fiscalité municipale, cela n’a pas empêché les législateurs d’y ajouter in extremis une série d’amendements permettant de légaliser la pratique de l’expropriation déguisée pour fins de protection de certains terrains.
La nouvelle brèche instaurée dans le système d’expropriation est immense: tout milieu que le gouvernement provincial ou qu’une municipalité considère comme ayant une valeur écologique pourra soudainement être amputé de sa valeur marchande par les instances gouvernementales sans que cela soit considéré comme une expropriation.
On peut déjà imaginer les fonctionnaires responsables de la gestion de l’environnement sabrer le champagne à l’idée de tous les terrains sur lesquels ils pourront bloquer le développement sans avoir à débourser un sou.
Pour dire les choses simplement, le gouvernement du Québec décide de faire porter à une poignée d’individus et d’entreprises le fardeau de son projet de conservation du territoire, plutôt que de s’adresser aux contribuables.
S’il s’agit bel et bien d’un projet mené dans l’intérêt du public, pourquoi donc ne pas avoir le courage d’utiliser les deniers publics pour en assumer les frais? Après tout, il s’agit d’une question d’équité et de droits fondamentaux.
D’autant plus que les élus ont cru bon que ce projet de loi s’applique immédiatement, notamment sur les différents dossiers déjà en cours dans l’appareil judiciaire.
Ces modifications législatives auront sans doute un effet délétère sur le climat d’affaires au Québec.
Après tout, pourquoi risquer d’être exproprié au rabais à Gatineau lorsque l’on peut investir en plus grande sécurité de l’autre côté de la rivière des Outaouais? Encore une fois, poser la question revient aussi à y répondre.
Nouvelles embûches
Il importe de mentionner que cela se reflète aussi dans le marché immobilier. Déjà, l’Association des professionnels de la construction de l’habitation du Québec a réagi à ces réformes, y voyant de nouvelles embûches à la construction des logements dont le Québec a un besoin criant.
Selon la Société canadienne d’hypothèque et de logement, la province devrait en bâtir environ 1,2 million d’ici 2030 pour revenir à des niveaux de prix abordables.
Ces modifications législatives venant faciliter l’expropriation ne feront absolument rien pour aider. Au contraire, elles vont nuire à la mise en chantier de nouveaux projets, et elles pourraient dissuader des investisseurs immobiliers de tabler sur des projets au Québec.
Malgré cela, aucun parti politique provincial — aucun de nos 125 élus — n’a cru bon de voter contre ces réformes. Le droit de propriété des Québécois et Québécoises s’est affaibli sous l’unanimisme de ceux et celles à qui l’on a donné le mandat de nous représenter. C’en est sidérant!