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Le fédéral permet finalement à Rogers d’acquérir Shaw

La Presse Canadienne|Publié le 31 mars 2023

Le fédéral permet finalement à Rogers d’acquérir Shaw

(Photo: La Presse Canadienne)

Toronto — La plus importante transaction de télécommunications de l’histoire du Canada pourra avoir lieu maintenant que la prise de contrôle de Shaw Communications par Rogers Communications pour 26 milliards $ a reçu vendredi l’approbation du gouvernement fédéral.

Le feu vert était le dernier obstacle réglementaire à la transaction, un peu plus de deux ans après sa première annonce.

Mais le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a pris un ton sévère vendredi, promettant d’«être comme un faucon au nom des Canadiens» pour assurer le respect des conditions qu’il a fixées, visant à renforcer la concurrence et à réduire les coûts de téléphonie et d’internet.

Le ministre Champagne a approuvé le transfert des licences sans fil de Freedom Mobile, propriété de Shaw, à Vidéotron, propriété de Québecor. Rogers et Shaw ont convenu en juin 2022 de vendre Freedom Mobile à Vidéotron pour 2,85 milliards $ dans le but d’atténuer les problèmes de concurrence soulevés par la proposition initiale.

Le ministre a également annoncé que son ministère n’autoriserait aucun autre transfert de spectre sans fil avant d’avoir mené un examen du cadre de transfert du spectre au pays, ce qui n’a pas été fait depuis près d’une décennie.

Rogers avait annoncé pour la première fois son accord pour acquérir Shaw en mars 2021, prévoyant alors que la transaction serait conclue avant juin 2022. La date limite de clôture a été repoussée à plusieurs reprises, et elle l’a été de nouveau vendredi — vraisemblablement pour une dernière fois —, au 7 avril.

 

Lire aussi: Rogers-Shaw: les dates clés de la saga pour ceux qui ont perdu le fil

Plusieurs conditions

Ottawa a obtenu 21 engagements juridiquement contraignants de la part de Rogers et de Vidéotron pour renforcer la concurrence dans le secteur et «faire baisser les prix», a précisé le ministre Champagne, précisant que ces conditions «ne doivent pas être prises à la légère».

Elles comprennent notamment l’établissement par Rogers d’un deuxième siège social à Calgary et l’ajout de 3000 nouveaux emplois dans l’Ouest canadien «dans les prochains mois», qui devront être maintenus pendant au moins dix ans.

L’entreprise devra également dépenser 5,5 milliards $ pour étendre la couverture 5G et des services réseau supplémentaires, ainsi que 1 milliard $ supplémentaire pour connecter les communautés rurales, éloignées et autochtones.

De son côté, Vidéotron devra offrir des forfaits au moins 20% inférieurs à ceux de ses concurrents et dépenser 150 millions $ au cours des deux prochaines années pour mettre à niveau le réseau de Freedom Mobile. Il lui sera interdit de transférer des licences Freedom Mobile pendant une décennie.

Le consultant en télécommunications Mark Goldberg a estimé que les termes définis par le gouvernement fédéral avaient du sens, qualifiant les sanctions de «significatives».

Mais il a noté que les entreprises s’étaient déjà engagées publiquement à respecter bon nombre de ces conditions tout au long du processus de deux ans.

«Je pense que cet accord aurait pu être conclu il y a un an si le Bureau de la concurrence n’avait pas été si têtu», a affirmé M. Goldberg.

En janvier, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande du Bureau de la concurrence d’annuler l’entente.

Le régulateur avait fait valoir que l’approbation de la fusion réduirait la concurrence, ce qui se traduirait par une augmentation des factures de téléphonie mobile, une baisse de la qualité du service et la perte d’options pour les consommateurs. Il voulait que le tribunal annule une décision du Tribunal de la concurrence, qui s’était prononcé en faveur de l’accord.

Au lieu de cela, la cour s’est ralliée à l’opinion du tribunal voulant qu’il n’y ait pas de danger de «diminution substantielle de la concurrence».

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a approuvé l’acquisition par Rogers des services de radiodiffusion de Shaw en mars 2022.

Sanctions assez sévères?

Questionné sur la façon dont les conditions de l’accord seraient appliquées, M. Champagne a affirmé qu’il «n’oserait pas se jouer du régulateur», sans toutefois préciser davantage sa pensée à ce sujet.

Si Rogers enfreint ses conditions, elle devra payer jusqu’à 1 milliard $ en dommages-intérêts, a prévenu le ministre. Vidéotron s’exposerait potentiellement à des pénalités de 200 millions $ si elle ne respecte pas ses engagements.

Mais certains observateurs craignaient que les conditions n’aillent pas assez loin. Keldon Bester, cofondateur du Canadian Anti-Monopoly Project, s’est demandé si les sanctions étaient suffisamment sévères.

«La réalité est que l’accord ne devrait pas aller de l’avant en premier lieu, alors au mieux, c’est un prix de consolation», a-t-il affirmé.

«Rogers et Vidéotron sont fortement incités à se soustraire à leurs engagements. Cela incite les parties à faire le calcul et à dire: “Si nous perdons plus d’argent en prenant ces engagements, pourquoi s’embêter à (les) respecter?”»

Le président et chef de la direction de Rogers, Tony Staffieri, a salué la nouvelle de vendredi.

«Nous sommes très heureux d’aller de l’avant dans le cadre de cette fusion transformatrice et d’honorer fièrement nos engagements en vue d’améliorer et d’élargir la couverture du réseau, de connecter les communautés moins bien desservies et d’améliorer l’accessibilité pour les Canadiens et Canadiennes à faible revenu», a affirmé M. Staffieri dans un communiqué de presse.

«En nous appuyant sur notre héritage commun avec Shaw, nous investirons considérablement pour offrir plus de choix, plus de valeur et plus de connectivité aux Canadiens et Canadiennes à la grandeur du pays.»

Dwayne Winseck, professeur de communication à l’Université Carleton et directeur du Canadian Media Concentration Research Project, a fait valoir que M. Champagne avait créé un système de réglementation à deux vitesses.

Selon lui, l’approbation du ministre donne l’impression que Rogers et Vidéotron sont régis par un ensemble «d’accords parallèles (…) concoctés à la volée en dehors du régime de droit public normal qui définit le cadre réglementaire».

«Pourquoi le ministre devrait-il bricoler un ensemble d’accords privés pour aider un accord à franchir la ligne d’arrivée alors qu’il aurait dû être mort dès le départ? Cela donne des allures de servante du capitalisme au ministre, alors qu’il devrait plutôt s’inscrire dans un gouvernement démocratique veillant sur l’intérêt du public et faisant la promotion (…) d’un maximum de concurrence sur ces marchés.»

Le Québec trouvera son compte

M. Champagne a indiqué aux journalistes que le gouvernement libéral avait «changé la donne» pour les entreprises de télécommunications au Canada, mais a aussi promis «que ce [n’était] pas la fin».

«Si nous ne voyons pas les prix baisser […], je demanderai un pouvoir supplémentaire pour m’assurer que nous faisons baisser les prix et à ce moment-là, tout sera sur la table», a-t-il affirmé.

En outre, le ministre a assuré que le Québec trouverait son compte dans l’entente.

«Vous allez me dire: “Mais les licences de Freedom Mobile sont en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique” (…) Ce qu’on sait, c’est que quand on amène un quatrième joueur national dans l’équation, c’est que ça a une tendance à faire baisser les prix pour tout le monde», a-t-il soutenu.

Mais OpenMedia, une organisation de défense qui promeut l’abordabilité d’internet, a affirmé que l’approbation de M. Champagne avait mis «le dernier clou dans le cercueil de la concurrence dans les télécommunications au Canada». Le groupe a exhorté une réforme à grande échelle de la concurrence au Canada afin d’éviter d’autres fusions à l’avenir.

«Il est difficile de concilier le budget fédéral de cette semaine rempli de promesses de mesures d’abordabilité, avec un assaut aussi direct sur le choix et l’abordabilité de la connectivité internet», a affirmé sa directrice générale Laura Tribe dans un communiqué de presse.