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Philippe Leblanc

Entre les lignes

Philippe Leblanc

Expert(e) invité(e)

Le gouvernement doit-il sauver les entreprises en Bourse?

Philippe Leblanc|Publié le 01 mai 2020

Le gouvernement doit-il sauver les entreprises en Bourse?

Un appareil Boeing 737NG (Photo: Getty images)

BLOGUE INVITÉ. Je suis d’avis que ce qui importe est de sauver les emplois, pas les actionnaires des entreprises. La Loi sur la faillite et l’insolvabilité a été créée dans le but de permettre aux entreprises de poursuivre leurs activités pendant qu’elles s’entendent avec leurs créanciers. Cette loi est un rouage essentiel du système capitaliste et il fonctionne généralement très bien.

Pourquoi faudrait-il que l’on indemnise les actionnaires de sociétés en difficulté, en particulier ceux des grandes entreprises cotées en Bourse?

De plus, l’idée d’aider les entreprises les plus en difficulté soulève un problème moral. Pourquoi aider une entreprise particulière plutôt qu’une autre? Qui décide qui obtiendra de l’aide et comment résister aux puissants lobbys des grandes entreprises?

Et indemniser les sociétés les plus en difficulté n’encouragera-t-il pas les entreprises à prendre des risques excessifs dans le futur? Pourquoi un dirigeant devrait-il gérer son entreprise prudemment s’il sait qu’il pourra compter sur l’aide du gouvernement en cas de pépin financier?

Je crois que certaines exceptions méritent un sauvetage par le gouvernement. Par exemple, la décision du gouvernement américain de venir à la rescousse des grandes banques américaines pendant la crise financière de 2008-2009 était, à mon avis, la bonne décision. Leur faillite aurait ébranlé la confiance des épargnants, le fondement même de tout le système financier. Qui sait ce qui serait survenu et à quel point l’économie se serait effondrée si le gouvernement américain n’avait pas aidé les grandes banques pendant la crise financière de 2008-2009?

Mais il y a une grande différence entre aider une entreprise à survivre afin de préserver des emplois directs et indirects et venir à la rescousse de ses actionnaires.

Pour l’investisseur, investir dans une entreprise cotée en Bourse a toujours été risqué. Il devrait garder à l’esprit que la faillite de certaines de ses sociétés est une possibilité réelle, surtout en cas de crise ou de fort ralentissement économique. Si investir en Bourse a historiquement procuré des rendements attrayants aux investisseurs, c’est justement parce que le niveau de risque y est plus élevé. Certaines entreprises feront faillite; c’est inévitable. Dans certains cas, ce sera parce que leurs dirigeants auront été trop téméraires; dans d’autres, ce sera en raison de facteurs largement hors de leur contrôle. C’est le cas de la pandémie actuelle.

Je ne comprends pas, par exemple, pourquoi le gouvernement américain devrait injecter des milliards de $ (il prévoit l’injection de quelque 58 G$ US) dans les grandes sociétés aériennes américaines. N’est-il pas de notoriété publique que cette industrie soit particulièrement risquée? L’investisseur qui y investit doit vivre avec le risque qu’une société aérienne puisse faire faillite et de perdre la totalité de son investissement. Que le gouvernement américain veuille préserver les milliers d’emplois de l’industrie aérienne est louable, voire désirable, mais qu’il protège en même temps les actionnaires de ces sociétés me semble indécent.

On pourrait aussi prendre l’exemple de Boeing qui quémandait jusqu’à tout récemment la coquette somme de 60 G$ US du gouvernement américain, pour elle-même et pour ses nombreux fournisseurs. Encore une fois, je crois que le gouvernement devrait tout faire pour sauver Boeing et l’industrie aéronautique nord-américaine ainsi que ses emplois, mais elle n’a pas à voler au secours des actionnaires de Boeing ou de ses fournisseurs. Surtout que Boeing a racheté pour environ 40 G$ US de ses propres actions au cours des quelque 10 dernières années.

Si le gouvernement américain aide les sociétés aériennes, pourquoi ne devrait-il pas aussi aider les sociétés hôtelières, les entreprises de croisière, les restaurants, les casinos ou les producteurs pétroliers? Où le gouvernement devrait-il tirer la ligne?

J’ajouterais que les plans de sauvetage d’entreprises ne sont pas très justes pour les sociétés qui sont laissées de côté, ni pour les investisseurs qui avaient investi dans les sociétés les moins risquées d’une industrie. Lorsqu’une société passe par le processus de protection contre la faillite, elle est soit démantelée ou liquidée, ou elle en émerge considérablement diminuée. Ses concurrents profitent généralement de la situation pour gagner d’importantes parts de marché. Ils seront aussi en mesure de charger plus cher pour leurs produits ou services. C’est la loi de la jungle et de la sélection naturelle: les sociétés les plus fortes finissent par laisser les sociétés plus faibles dans l’ombre. Si l’on aide systématiquement les entreprises les plus faibles, les plus fortes ne pourront pas se démarquer.

Un gouvernement doit à mon avis faire preuve de beaucoup de prudence avant d’aider une entreprise en difficulté. Il doit le faire si sa faillite risque de causer beaucoup de dommage à l’économie (c’était le cas en 2008-2009 concernant l’échec des grandes banques américaines considérées «too big to fail»). Il devrait aussi l’envisager lorsqu’il y a beaucoup d’emplois en jeu, mais en aucun cas devrait-il chercher à indemniser les actionnaires.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA