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Le modèle de coopérative laitière d’Agropur exporté en Ukraine

La Presse Canadienne|Publié le 15 mars 2023

Le modèle de coopérative laitière d’Agropur exporté en Ukraine

Lyuba Pastushok présente chaque vache en la nommant par son nom, la voix remplie de fierté. Elle attribue son succès à la création d’une coopérative de style québécois dans sa communauté. (Photo: La Presse Canadienne)

Krasne — Les vaches de la ferme de Lyuba Pastushok sont comme ses «enfants têtus», raconte-t-elle en ukrainien lors d’une marche au milieu de son troupeau.

S’il n’y avait que cinq bêtes dans sa petite ferme familiale à Holoskovychi, une communauté rurale située à une heure et demie à l’est de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, le troupeau compte aujourd’hui 25 vaches, dont six qu’elle a achetées après l’invasion de son pays par les forces russes.

Emmitouflée avec un foulard noué sur la tête en cette journée froide, la matriarche ukrainienne présente chaque vache en la nommant par son nom, la voix remplie de fierté.

Elle attribue son succès à la création d’une coopérative de style québécois dans sa communauté. En plus, une nouvelle usine laitière canadienne dans la région aidera probablement l’industrie locale à se développer encore plus.

Ce projet est devenu un symbole improbable de résistance face à l’invasion russe.

La Russie fait la vie dure aux agriculteurs ukrainiens, dénonce Mme Pastushok par l’intermédiaire d’un interprète lors d’une entrevue dans la cuisine de sa ferme.

«Mais ça ne nous empêche pas de nous développer. Nous sommes qui nous sommes: des Ukrainiens», dit-elle fièrement.

L’usine laitière de 3 millions de dollars (M$), financée par Affaires mondiales Canada, produira du lait, du yogourt, de la crème sure et des fromages à partir du lait des coopératives laitières locales. Ces coopératives participeront également à la gestion de l’usine, qui emploiera de 30 à 40 personnes.

La construction était déjà bien avancée lorsque la guerre a éclaté et a perturbé tous les aspects de la vie dans le pays désormais assiégé, l’année dernière.

Les investisseurs ont d’ailleurs hésité avant de se lancer dans un projet en zone de conflit, souligne Camil Côté, directeur de projet pour SOCODEVI, l’agence de développement basée à Montréal qui dirige le projet.

L’invasion a forcé une pause d’environ trois mois pendant les travaux, jusqu’à ce que le Canada offre 2M$ supplémentaires pour repartir la machine.

«Comme toute l’Ukraine, nous avons survécu à l’hiver», affirme M. Côté lors d’une entrevue depuis le Nicaragua.

«Nous avons eu quelques situations dangereuses près de l’usine», renchérit Andriy Blinovskyy, qui gère le projet pour le compte d’une société de coopératives laitières locales appelée Nabil.

«Il y a eu une explosion de missile près de l’usine, lorsque le poste de transformation électrique a été détruit, à peut-être 10 kilomètres de l’usine», explique-t-il.

Cette explosion, survenue à la fin de l’année dernière, a forcé les travailleurs à continuer les travaux tout l’hiver sans chauffage, en utilisant un générateur pour avoir de l’électricité.

Lorsqu’elle sera opérationnelle, l’usine approvisionnera principalement la région de Lviv en produits locaux. L’équipement et les réservoirs à lait flambant neufs arborent des drapeaux canadiens.

«On sent que cette usine est à nous. C’est notre pays, notre maison, notre famille», soutient Mme Pastushok.

Le succès du modèle québécois

SOCODEVI a importé le modèle québécois de coopérative laitière en Ukraine il y a près de 10 ans. Il permet aux producteurs locaux qui possèdent seulement quelques vaches de se regrouper pour négocier de meilleurs prix.

«Les besoins en Ukraine sont très similaires à ce qu’ils étaient au Canada il y a 50 ou 60 ans», explique la gestionnaire de programme pour SOCODEVI, Erin Mackie.

«Les agriculteurs avaient besoin d’unir leurs forces pour réussir à générer de meilleurs revenus pour eux-mêmes.»

Les agriculteurs ukrainiens ont d’abord hésité à s’engager dans ce projet, car le modèle coopératif leur rappelait des souvenirs d’opérations gérées par l’État sous l’Union soviétique (URSS).

SOCODEVI leur a toutefois expliqué que l’idée derrière cette union demeurait démocratique et capitaliste. Le modèle s’inspire largement de la coopérative québécoise Agropur, qui est la plus grande coopérative laitière au Canada.

«C’est comme ça qu’Agropur a commencé, avec une petite coopérative où l’on transforme du lait», rappelle Céline Delhaes, qui siège au conseil d’administration de la coopérative.

De cette façon, il est beaucoup plus facile pour les agriculteurs de négocier des prix équitables en tant que groupe que de négocier individuellement avec de grandes entreprises pour transformer et vendre leur lait, explique Mme Delhaes.

Mme Delhaes s’est rendue plusieurs fois en Ukraine avant la pandémie de COVID-19 pour aider les agriculteurs locaux et les guider dans l’aspect administratif de la mise en place de leurs coopératives.

De fil en aiguille, les programmes ukrainiens ont pris du galon, puisque de plus en plus d’agriculteurs, comme Lyuba Pastushok, ont choisi de se joindre à l’aventure.

«Les gens ont commencé à vendre des vaches. Certains à cause de leur maladie, tandis que les jeunes sont allés travailler à l’étranger. C’est devenu très dispendieux de travailler la terre», mentionne Mme Pastushok.

Elle espère que davantage d’agriculteurs de la région se joindront à elle.

«Nous devons nous unir. Comme on dit: un homme seul sur le terrain ne vaut pas une armée.»

Erin Mackie, de SOCODEVI, ajoute que l’objectif est de créer un mouvement national en Ukraine, en partenariat avec l’industrie laitière canadienne. Selon elle, le financement octroyé par le Canada illustre que le pays a foi en l’Ukraine.

«Ça démontre une confiance envers le peuple ukrainien, une confiance que le pays va surmonter les défis auxquels il est confronté», dit-elle.