Selon François Delorme, l'un des auteurs de l'étude, ce résultat signifie que les États-Unis sont une société moins inégalitaire qu’on pourrait le penser, tandis que le Canada est une société plus inégalitaire qu’on pourrait l’imaginer. (Photo: 123RF)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. C’est connu, le Québec a un modèle socio-économique en Amérique du Nord qui répartit bien la richesse et qui limite les inégalités. Ce qui est méconnu, en revanche, c’est qu’avant le prélèvement des impôts et des transferts (par exemple, pour la Régie des rentes du Québec), le Québec produit autant d’inégalités qu’aux États-Unis au chapitre du revenu de marché. Et l’Ontario et le Canada en produisent plus que nos voisins américains.
C’est un constat très surprenant qui ressort d’une étude que la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke a publiée cette semaine et qui s’intitule Les inégalités au Québec revisitées – remettre le GINI dans sa bouteille (octobre 2023).
En entrevue à Les Affaires, l’un des coauteurs, François Delorme, professeur associé à l’Université de Sherbrooke et chercheur au Laboratoire des inégalités mondiales, s’est lui-même dit surpris par cette découverte – il cosigne cette étude avec Camille Lajoie, professionnelle de recherche à la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.
Leur travail analyse l’évolution des inégalités au Québec de 1982 à 2020 sous différents aspects.
Pour découvrir que le Québec produit autant d’inégalités que les États-Unis, ils ont calculé le ratio de la tranche des 10% des Québécois gagnant le revenu de marché le plus élevé sur la tranche des 50% des Québécois gagnant le revenu de marché le plus faible.
Rappelons que le revenu de marché est le revenu des particuliers, mais avant les impôts et les paiements de transferts, c’est-à-dire avant l’intervention fiscale de l’État.
Ce ratio est l’étalon de mesure utilisé par Laboratoire des inégalités mondiales –auquel est associé l’économiste français Thomas Piketty, l’auteur de l’ouvrage Le capital au XXe siècle– parce qu’il permet de comparer les inégalités économiques entre des États qui n’ont pas le même niveau de profondeur de données fiscales.
Ainsi, ce ratio s’établissait à 17 au Québec en 2019.
Cela signifie que sur la base du revenu de marché, la tranche des 50% affichant le revenu le plus bas gagnait 17 fois moins que la tranche des 10% gagnant le revenu le plus élevé.
Les inégalités plus élevées au Canada et en Ontario
Or, les États-Unis affichent exactement le même ratio de 17, alors que ce ratio est de 19 au Canada et de 21 en Ontario.
Selon François Delorme, ce résultat signifie que les États-Unis sont une société moins inégalitaire qu’on pourrait le penser, tandis que le Canada est plus inégalitaire qu’on pourrait l’imaginer.
Pour mettre les choses en perspective, en 2019, ce ratio s’établissait à 6 en Suède, à 7 en France et à 14 en Chine.
Au risque de se répéter, il s’agit d’un calcul effectué à partir du revenu de marché, soit avant l’intervention de l’État.
Par conséquent, le fait que la Suède affiche un ratio pratiquement trois fois inférieur à celui du Québec ne s’explique pas par le fait que ce pays scandinave est une social-démocratie, où l’État intervient beaucoup dans l’économie via la fiscalité et les taxes à la consommation.
Dans leur étude, François Delorme et Camille Lajoie n’ont pas approfondi les raisons pour lesquelles le Québec affiche un ratio similaire à celui des États-Unis sur la base du ratio (10% supérieur sur 50% inférieur).
Ni du reste que les inégalités du revenu de marché soient encore plus élevées au Canada et en Ontario.
À ce stade-ci, on ne peut qu’émettre des hypothèses.
Et si c’était une problématique culturelle?
Nous en voyons peut-être une qui mériterait d’être approfondie: la culture de l’égalité dans les sociétés.
En Amérique du Nord, même au Québec, nous avons sans doute intégré au fil des décennies qu’il est normal qu’une PDG ou qu’un PDG puisse gagner 20, 30, 50 fois, voire plus, que le salaire des employés les moins bien payés dans son organisation.
En contrepartie, cette culture de l’égalité est sans doute plus forte en Europe, et ce, pour des raisons historiques et socio-économiques.
Par ailleurs, le taux de syndicalisation n’a sans doute pas grand-chose à voir dans ces disparités de ratio des inégalités (10% supérieur sur 50% inférieur) entre l’Europe et l’Amérique du Nord.
Au Québec, le taux de présence syndicale est pratiquement 4 fois plus élevé qu’aux États-Unis, soit 40% comparativement à 10%.
Or, le ratio des inégalités est le même, à 17.
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