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Le rendement relatif de la Caisse de dépôt remis en doute

Charles Poulin|Publié le 15 juin 2023

La surperformance de la CDPQ ne serait pas la même si le processus d'évaluation était plus rigoureux, estime une étude.

(Photo: archives Lesaffaires.com)

La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) n’est pas aussi performante qu’elle le laisse entendre publiquement selon une étude qui avance que la « surperformance » déclarée par le gestionnaire du bas de laine des Québécois ne serait pas la même si le processus d’évaluation était plus rigoureux.

L’étude « Productivité du secteur public québécois : La Caisse de dépôt et placement du Québec », réalisée par le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers de HEC Montréal, rappelle que les hauts dirigeants de la CDPQ se sont partagé 10,6 M$ en boni parce qu’ils indiquaient avoir « surperformé » relativement à la moyenne du marché l’an dernier.

Le document réalisé par le CPP compare toutefois le rendement réalisé par les huit gestionnaires de grands fonds de pension canadiens entre 2009 et 2021. Le rendement net de la CDPQ pour cette période est de 226%, ce qui la classe au sixième rang.

Le régime de retraite de Healthcare Ontario (HOOPP) est le premier de classe avec un rendement net de 320%, suivi de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (CPPIB, 280%), de l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (PSPIB, 261%), du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (OTPP, 248%) et du British Columbia Investment Management Corporation (BCIMC, 237%). L’Alberta Investment Management Corporation (AIMco, 181%) et le Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS, 171%) sont les deux seuls à avoir offert un rendement moindre que la CDPQ à leurs clients au cours de la même période.

« Ce qu’on dit avec l’étude, c’est que si la Caisse réussit effectivement à assurer la pérennité du Régime des rentes du Québec (RRQ), elle n’est pas aussi bonne qu’elle le prétend, précise le directeur du CPP et coauteur de l’étude, Robert Gagné. Ils ne sont pas meilleurs que d’autres. Dans certains cas, ils sont même moins bons. »

 

Sortir le RRQ de la Caisse

Les auteurs de l’étude concèdent que la comparaison entre les différents gestionnaires de régimes de retraite demeure limitée, notamment parce que la CDPQ a 48 déposants, alors que quatre des sept autres grands gestionnaires cités dans le document n’ont qu’un seul client.

« Il est important de rappeler que les auteurs eux-mêmes conviennent que la CDPQ génère un rendement global qui reflète son mandat, soit celui de gérer les fonds de 48 déposants différents, indique la CDPQ dans un communiqué qui répond à l’étude. Pour bien répondre à leurs besoins, les stratégies d’investissement sont adaptées à la tolérance au risque et la politique de placement spécifiques de chacun. »

« Si ce qu’on nous dit, c’est qu’il faut accepter des rendements faibles pour le RRQ parce que le CDPQ a plusieurs clients et que ça lui pose plus de contraintes, la solution est très simple : il faut sortir le RRQ de la CDPQ, rétorque Robert Gagné. Il n’y a pas de raison pour que les Québécois soient victimes de rendements plus faibles. »

 

Efficacité difficile à établir

Les auteurs de l’étude soulignent de plus que l’évaluation que la CPDQ fait de son propre rendement est incomplète et loin d’être transparente.

Il rappelle que la Caisse détermine l’indice de référence uniquement en fonction des marchés dans lesquels elle est présente. « Même en faisant ça, ils n’affichent pas une performance fantastique », laisse tomber Robert Gagné.

« La Caisse ignore sciemment des stratégies de placement alternatives susceptibles de produire de meilleurs rendements, explique pour sa part Jonathan Deslauriers, lui aussi coauteur de l’étude. À défaut d’avoir un cadre de comparaison adéquat, il s’avère fort difficile de déterminer si la Caisse gère efficacement le mandat qui lui a été confié sur la base des informations qu’elle publie. »

Ce faisant, ajoutent les auteurs, la Caisse « élude complètement la notion de coût d’opportunité de son processus d’évaluation ». Il devient ainsi difficile de savoir si une autre stratégie d’investissement aurait été plus profitable et de comparer les rendements qui seraient obtenus avec les différentes stratégies offertes sur le marché.

La Caisse n’est pas d’accord avec cette critique du manque de rigueur de son indice de référence.

Elle réplique qu’elle « est toutefois le seul des huit grands fonds au Canada à adhérer aux normes GIPS, la norme la plus élevée en termes de transparence et de divulgation des rendements dans l’industrie. Rappelons que pour répondre à ces normes, un audit externe, incluant la révision de l’indice de référence de la CDPQ, doit être assuré. »

 

Valeur approximative

Une bonne partie de la performance de la CDPQ provient de son portefeuille de placements privés, remarque Robert Gagné. Comme il s’agit d’actifs non transigés sur les marchés et qu’ils font partie d’une stratégie à long terme, les évaluations de valeurs sont « suggestives ». La mesure du rendement de ce portefeuille est approximative et sa rigueur demeure à être démontrée, estime-t-il.

« S’ils ont une méthode objective d’évaluation, nous ne l’avons pas vue », soutient-il. Nous ne disons pas que le CDPQ ne dit pas la vérité. Ce que nous soulignons, c’est qu’il est difficile de savoir comment c’est évalué. »

Encore une fois, la Caisse n’est pas en accord avec ces conclusions. « Rien n’est plus faux », estime-t-elle.

La performance du portefeuille de placements privés et de ses actifs est régulièrement évaluée selon les ventes de sociétés en portefeuille, des transactions récentes dans les mêmes secteurs, ou des sociétés comparables dans les marchés publics, soumet-elle dans son communiqué. La rigueur des données de rendement de ce portefeuille est démontrée par le suivi des normes les plus strictes et est validée par des vérificateurs externes et des évaluateurs indépendants à toutes les étapes du processus.

« D’autre part, bien que la valeur générée par les placements privés constitue un gain majeur pour nos déposants, celle-ci représente environ 50% de la valeur ajoutée générée par l’ensemble du portefeuille de la CDPQ, précise-t-elle. Cette proportion reflète le risque plus élevé associé à ce portefeuille pour lequel on doit donc s’attendre à des rendements conséquents. L’ensemble de la valeur complémentaire a été générée par les autres portefeuilles sous gestion. La réalité se situe donc loin de ce que peut laisser entendre le rapport publié. »