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Le retrait des publicités forcera-t-il la main de Meta?

La Presse Canadienne|Publié le 06 juillet 2023

Le retrait des publicités forcera-t-il la main de Meta?

Le projet de loi C−18, adopté en juin, mais qui n’entrera en vigueur qu’à la fin décembre, oblige les géants du numérique à payer les médias d’information pour le contenu qu’ils partagent ou réutilisent sur leurs plateformes. (Photo: La Presse Canadienne)

MONTRÉAL — Le retrait par plusieurs gouvernements et entreprises au Canada de leurs publicités sur Facebook pourrait inciter la société Meta à conclure des accords avec des organes de presse, bien qu’il faudrait sans doute un plus grand mouvement pour la contraindre à agir, soutiennent des experts. 

La tactique adoptée par plusieurs gouvernements et entreprises au pays cette semaine pourrait forcer la main du géant des médias sociaux si d’autres pays et entreprises emboîtent le pas sur des marchés plus importants, a déclaré Sam Andrey, directeur général du groupe Dais à la Toronto Metropolitan University.

«J’ai trouvé intéressante la rapidité avec laquelle un groupe d’organisations et de gouvernements ont suivi, et je suis sûr qu’il y en aura d’autres», a-t-il fait valoir.

«Le gouvernement du Canada en tant qu’annonceur n’est pas une énorme perte pour eux dans le cadre de l’ensemble de leurs revenus publicitaires canadiens. Mais s’il déclenche un mouvement, vous pourriez les voir reconsidérer leur décision», a précisé M. Andrey.

Le gouvernement fédéral — suivi rapidement par le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal et les entreprises de médias Québecor et Cogeco — a annoncé mercredi qu’il suspendrait la publicité sur Facebook et Instagram alors que les tensions avec les titans de la technologie augmentent au sujet de la Loi sur les nouvelles en ligne.

Le projet de loi C−18, adopté en juin, mais qui n’entrera en vigueur qu’à la fin décembre, oblige les géants du numérique à payer les médias d’information pour le contenu qu’ils partagent ou réutilisent sur leurs plateformes.

En réponse, Meta et Google ont annoncé le mois dernier qu’ils retireraient de leurs sites les nouvelles des médias canadiens avant l’entrée en vigueur de la loi.

Kent Walker, président des affaires mondiales de Google et de sa société mère Alphabet, a déclaré dans une entrevue la semaine dernière que la loi était inapplicable, car elle met un prix sur les liens, ce qui entraîne une responsabilité financière non plafonnée «qu’aucune entreprise ne pourrait accepter».

«Je pense que nous avons besoin d’attentes financières claires, et nous avons besoin d’une voie claire et réaliste vers l’exemption qui tient compte de nos accords commerciaux et des autres soutiens que nous fournissons pour les nouvelles au Canada», a déclaré M. Walker.

Une personne représentant Meta a déclaré que le processus réglementaire ne serait pas en mesure de répondre aux changements que l’entreprise souhaite voir, c’est pourquoi elle prévoit de supprimer les nouvelles de ses plateformes: «Malheureusement, le processus réglementaire n’est pas équipé pour apporter des modifications aux caractéristiques fondamentales de la législation qui ont toujours été problématiques, et nous prévoyons donc de nous conformer en mettant fin à la disponibilité des informations au Canada dans les semaines à venir.»

Les 10 millions $ par an que le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a déclaré dépenser en publicités avec Facebook et Instagram représentent une infime fraction des 113 milliards $ de revenus publicitaires de Meta l’an dernier.

Néanmoins, des observateurs des médias affirment que Meta devra peut−être reconsidérer sa stratégie si de grandes entreprises ainsi que des gouvernements qui conçoivent des lois similaires, notamment les États−Unis, le Royaume−Uni et le Brésil, suivent l’exemple du Canada.

«D’autres pays démocratiques tels que les États−Unis et le Mexique et l’Union européenne pourraient tous prendre des mesures de principe similaires», a déclaré Courtney Radsch, directrice du Center for Journalism and Liberty, un groupe de réflexion établi à Washington.

La période de six mois avant l’entrée en vigueur du projet de loi donne à Ottawa le temps de décider comment procéder avec la réglementation. 

Le Canada, un «test» pour Meta

Lorsque l’Australie a introduit une loi similaire en 2021, Meta a temporairement bloqué les nouvelles de Facebook. Dans ce pays, Meta et Google ont conclu des ententes avec des éditeurs de nouvelles, comme l’exige également le projet de loi C− 18.

Maintenant, Meta utilise peut−être le Canada pour faire une mise en garde à d’autres pays, croit M. Andrey.

«Ils craignent que cela ne se propage de l’Australie − et maintenant au Canada − à des juridictions beaucoup plus vastes, a-t-il déclaré. Nous nous trouvons simplement dans la situation malheureuse d’être un test pour eux. S’ils peuvent nous faire mal ici, d’autres voudront−ils éviter d’être les suivants? C’est une tactique d’intimidation.»

Meta a déclaré que le fait de retirer des liens d’actualités le mettait simplement en conformité avec la loi.

Au−delà des dollars et des cents, les réputations sont également en jeu.

«Je pense qu’il y a un risque réel pour Meta, a poursuivi M. Andrey. On s’inquiète déjà de la propagation de la désinformation et des théories du complot. Si vous supprimez des sources d’information faisant autorité, nourrissez−vous cette perception que les informations sur ces plateformes ne sont pas crédibles?»

À savoir si les utilisateurs des médias sociaux s’en soucient est une autre affaire. La décision d’une poignée de gouvernements canadiens et d’entreprises de télécommunications de retirer des publicités n’attirera probablement pas l’attention des adolescents sur Instagram. Mais si des marques de détail plus grandes et plus branchées ou des célébrités devaient intervenir, et surtout si l’expérience utilisateur était modifiée, le vent pourrait commencer à tourner.

Le rédacteur en chef de CBC News, Brodie Fenlon, a publié cette semaine un article décrivant comment il n’a pas pu voir les publications sur la page Instagram de la marque, qui contenait une note indiquant que le contenu avait été bloqué «en réponse à la législation du gouvernement canadien».

«Une fois (ces mesures) déployées, les gens s’en soucieront, car cela ajoute de la friction à leur expérience internet», a déclaré M. Andrey.