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Le territoire agricole s’étiole au profit du développement

La Presse Canadienne|Publié le 13 novembre 2023

Le territoire agricole s’étiole au profit du développement

Le Québec a tout intérêt à protéger son garde−manger puisque seulement 2 % du territoire est cultivable, comparativement à 58 % en France et 45 % aux États−Unis. (Photo: La Presse Canadienne)

Imaginez une surface aussi grande que 40 patinoires de hockey dans un champ cultivé. Imaginez maintenant que l’on asphalte cette surface au complet, à tous les jours durant 25 ans. 

C’est pourtant là exactement la superficie de terres agricoles qui se sont perdues au Québec depuis 1998, soit 57 000 hectares. «Nos terres cultivables disparaissent sous le béton au nom du développement industriel, routier et de l’étalement urbain. Une usine de batteries par−ci, un nouveau quartier par−là, un parc industriel là−bas, un stationnement ici, pourquoi pas?», laisse tomber la directrice générale d’Équiterre, Colleen Thorpe. 

L’organisme a lancé lundi, en compagnie de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ), de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ), de Protec−Terre et de Vivre en ville, l’Alliance SaluTERRE, dont l’objectif est de militer en faveur d’un renforcement de la protection du territoire agricole.

Québec a récemment annoncé une réforme de la Loi sur la protection du territoire agricole, qui fête ses 45 ans cette année, et SaluTERRE entend porter non seulement sa voix et celle des nombreux organismes qui la soutiennent, mais aussi celle de la population.

 

Fort appui populaire 

C’est en effet forte d’un sondage Léger (1) montrant que les trois quarts des Québécois (74 %) considèrent qu’il est urgent d’intervenir pour protéger les terres contre le développement résidentiel et industriel que l’Alliance entend se présenter lors des consultations.

Le Québec a tout intérêt à protéger son garde−manger puisque seulement 2 % du territoire est cultivable, comparativement à 58 % en France et 45 % aux États−Unis. Cette rareté fait en sorte que ces terres, en forte demande, ont vu leur valeur exploser au fil des ans. Selon la présidente de la FRAQ, Julie Bissonnette, la valeur est dix fois plus élevée qu’il y a 25 ans et atteint par exemple 50 000 dollars l’hectare en Montérégie. À ce prix, dit−elle, il devient difficile d’espérer un rendement sur l’investissement avec une production agricole de plus en plus fragilisée par les aléas d’une météo imprévisible et parfois sauvage.

 

«Une vraie bombe à retardement» 

Et à ces prix s’ajoutent l’augmentation des taux d’intérêt et celle des coûts de production et des programmes de financement qui ne tiennent pas compte des besoins de la relève. «Tout cela cumulé, c’est une vraie bombe à retardement qui éclaboussera non seulement notre garde−manger en région, mais également sa relève.»

Le sondage lui donne raison, puisque 87 % des répondants appuient l’idée d’un soutien financier pour assurer un accès à la terre pour la relève agricole et sans surprise, 71 % d’entre eux sont en faveur de pénaliser financièrement des promoteurs qui spéculent sur la valeur des terres agricoles.

SaluTERRE se donne quatre grandes missions, soit de protéger les superficies de terres agricoles, d’améliorer la santé des sols agricoles et de la biodiversité, d’assurer l’accessibilité aux terres pour une relève diversifiée et de préserver la fonction nourricière des terres.

 

Un gouvernement en mode de développement 

Colleen Thorpe ne cache pas qu’elle s’attend à une certaine résistance du gouvernement caquiste de François Legault. «Le gouvernement actuel est dans un mode de développement industriel et ce développement industriel a impacté les terres agricoles très récemment.»

L’alliance lui demande donc de préciser sa politique de développement industriel et de faite en sorte qu’elle s’accorde avec une protection du territoire agricole. Elle lui demande également de créer un «observatoire du foncier agricole» puisque de nombreux spéculateurs ont poussé comme de la mauvaise herbe dans le paysage et Québec reconnaît que «l’État québécois n’a aucune idée précise du nombre, du profil et des intentions des propriétaires de terres agricoles qui ne sont pas des agriculteurs».

Jeanne Robin, directrice principale de Vivre en ville, rappelle que le territoire agricole est trop souvent considéré «comme une réserve en attente de développement». Il est donc essentiel de mettre en place les mécanismes pour «éviter que la protection du territoire fasse l’objet d’une négociation entre quelques acteurs, mais (plutôt) faire en sorte de contribuer à ce que ce soit réellement un sujet de société parce que ça concerne tout le monde».

Il fait peu de doute, selon elle, que la Loi sur la protection du territoire agricole présente de nombreuses failles. «Aucun système n’a réussi jusqu’ici, aucun des acteurs impliqués, ni le ministère des Affaires municipales, ni la CPTAQ (Commission de protection du territoire agricole du Québec) n’ont réussi à protéger efficacement, durablement contre toute pression et contre toute spéculation le territoire agricole.»

(1) Le sondage Léger, réalisé pour Équiterre, a été mené du 28 septembre au 2 octobre 2023 auprès de 1006 adultes. Sa marge d’erreur est de plus ou moins 3,1 %, 19 fois sur 20. 

Pierre Saint−Arnaud, La Presse Canadienne