Le tjänstledighet? Un concept suédois fabuleux!
L'économie en version corsée|Publié le 29 juillet 2019Une occasion en or de changer de vie.... (Photo: DR)
En Suède, les employés à temps plein peuvent bénéficier d’un congé de six mois pour… créer leur propre start-up! Ce congé – dénommé tjänstledighet – est non rémunéré, mais l’employé a la garantie de retrouver son poste – ou un poste équivalent – à son retour au travail, si jamais il décide finalement de ne pas devenir entrepreneur à l’issue de son aventure professionnelle d’un semestre.
L’employeur n’a pas son mot à dire concernant la demande d’un tel congé, pourvu que trois conditions soient remplies :
– L’employé doit le prévenir au moins trois mois d’avance avant de partir en congé. À noter qu’il doit être à l’emploi de l’entreprise depuis au moins six mois, et, surtout, ne pas occuper un poste vital pour l’entreprise.
– La nouvelle start-up ne doit pas faire la moindre concurrence à l’entreprise de l’employeur.
– Il doit s’agir de la toute première demande d’un tel congé faite par l’employé envers l’employeur, car chacun n’a le droit qu’à un seul tjänstledighet par employeur.
Ce congé est-il populaire? Difficile à dire, car la Suède ne tient pas de statistiques spécifiques à cet égard. Cela étant, des signes ne trompent pas quant à l’engouement qu’il suscite depuis sa création en 1998 :
– Vague de démissions. Les données de Statistiska centralbyrån, l’office suédois de la statistique, montrent un pic actuel des démissions des 25-54 ans en Suède. Ce qui semble indiquer que jamais autant d’employés ont quitté leur employeur en Suède, vraisemblablement en grande partie pour devenir leur propre patron.
– Boom des nouvelles entreprises. Le nombre de nouvelles entreprises a d’ailleurs doublé en Suède, ces dix dernières années, toujours selon Statistiska centralbyrån. Ce qui semble aller de pair avec la statistique précédente.
– Abondance de start-ups. En Suède, on compte 20 start-ups pour 1 000 employés, d’après les données de l’OCDE. En guise de comparaison, la proportion est de 5 pour 1 000 aux États-Unis.
– Pullulation de licornes. À l’échelle de la planète, Stockholm est aujourd’hui le deuxième lieu où l’on trouve le plus de ‘licornes’ par habitant, après la Silicon Valley, selon l’OCDE. Y grandissent en effet un nombre impressionnant de start-ups valorisées à plus d’un milliard de dollars, à l’image de Spotify et de Minecraft.
Ça saute aux yeux, la Suède connaît ces derniers temps une véritable furie entrepreneuriale, et elle le doit sûrement à son concept de tjänstledighet. Ce qui est tout à son avantage, vu que les pays qui s’en sortiront le mieux dans les années à venir seront ceux qui brilleront par leur capacité à innover, comme l’a mis au jour le dernier The Global Competitiveness Report du Forum économique mondial. Un rapport, soit dit en passant, qui soulignait que le Canada, lui, ne figurait qu’à la 14e place des pays les plus compétitifs – et donc, inventifs –, loin derrière la Suède…
Bref, il est clair que nous gagnerions à nous inspirer de ce qui se fait en Suède, et en particulier du concept de tjänstledighet. Mieux, nous gagnerions certainement à regarder de près les différents types de congés dont peuvent bénéficier les employés suédois et – pourquoi pas? – à les faire nôtres. Tenez, en voici trois exemples inspirants :
– Un employé de l’État peut demander à travailler dans un autre service que le sien, en occupant un autre poste que celui qu’il occupe habituellement. L’idée, c’est de lui permettre de toucher à d’autres métiers, et de trouver peut-être ainsi sa voie professionnelle, celle dans laquelle il tripera comme jamais. Cette expérience est d’une durée maximale de six mois; après cela, libre à l’employé de présenter une demande de mutation, laquelle sera appuyée par ses nouveaux supérieurs hiérarchiques si jamais l’expérience a été jugée concluante par tout le monde.
– Tout employé est libre de prendre un congé sans solde pour suivre un programme de formation, le temps que celui dure. Et ce, même si celui-ci n’a aucun lien avec son activité professionnelle actuelle. L’employeur peut, s’il le veut, différer dans le temps le début de ce congé, mais jamais au-delà de six mois.
– À la naissance d’un enfant, les parents bénéficient d’un congé parental de 18 mois. Celui-ci s’ajoute au congé de maternité, de 14 semaines. Ce n’est pas tout, il est également possible de bénéficier d’une réduction de temps de travail durant les huit premières années de vie de l’enfant. L’idée? Parent heureux = Employé heureux = Employé performant. Tout simplement.
Voilà. Nous nous trompons lourdement lorsque nous considérons que les congés ne servent qu’à se dorer la couenne et à mettre son cerveau sur off. Oui, lourdement. Les congés peuvent très bien être intelligents, et offrir des occasions en or à chacun de nous de nous cultiver, de nous ouvrir à de nouveaux horizons, à nous lancer dans de toutes nouvelles aventures. En particulier sur le plan professionnel, comme en atteste le fabuleux concept du tjänstledighet. CQFD.
En passant, l’écrivain américain Mark Twain aimait à dire : «Le secret du succès est de faire de ta vocation tes vacances».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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