Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (Photo: courtoisie)
Choisir entre la durabilité écologique et la croissance économique relève du faux dilemme. La mise en œuvre d’une vision environnementale passe nécessairement par un discours de nature économique.
« Nos sociétés sont construites sur la base de systèmes économiques ; on ne peut donc pas s’attaquer à la problématique de l’environnement sans parler de cette réalité incontournable », rappelle Corinne Gendron, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
« Adopter des politiques respectueuses de l’environnement permet de se démarquer auprès de la main-d’œuvre. Une marque employeur verte constitue indéniablement un facteur attractif dans un contexte de pénurie », cite à titre d’exemple Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec. À un moment où la province compte près de 200 000 postes vacants et revendique le plus bas taux de chômage du Canada, c’est un pensez-y-bien.
Les entreprises qui s’engagent à verdir leur organisation se bâtissent un avantage concurrentiel qui peut entre autres se traduire par davantage d’exportations. Cela est d’autant plus vrai pour celles qui sont établies au Québec, qui bénéficient d’une énergie renouvelable provenant en quasi-totalité de source hydraulique renouvelable. « Avec la relance économique mondiale d’après COVID-19 qui sera placée sous le signe de l’environnement, c’est une manière de tirer son épingle du jeu et de contourner les barrières protectionnistes », pense Karl Blackburn.
Sans compter que, selon l’économiste états-unien Michael Porter, des réglementations plus exigeantes sur le plan environnemental entraîneraient plus d’innovations, donc plus de compétitivité. Baptisée l’hypothèse de Porter, cette idée avancée en 1995 bat en brèche la théorie économique traditionnelle qui veut que les entreprises doivent minimiser leurs coûts afin de rester compétitives.
Beaucoup à perdre
Si on choisit de ne pas prendre ce virage vert ? C’est se mettre des bâtons dans les roues à plus ou moins long terme, selon Marie-France Turcotte, elle aussi professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG de l’UQAM. « Je pense notamment au commerce interentreprises, où il est dangereux de devenir un infréquentable. Pour protéger leur réputation, les grosses entreprises doivent se doter de politiques qui touchent tous les maillons de leur chaîne d’approvisionnement, y compris les PME avec lesquelles elles font affaire », analyse-t-elle.
Cela est aussi vrai en ce qui concerne le commerce entre entreprises et consommateurs. Une étude réalisée par la Banque de développement du Canada en 2013 rapporte par exemple que neuf Canadiens sur dix cesseraient d’acheter des produits d’une entreprise qui a des pratiques irresponsables. Près d’une décennie plus tard, ce pourcentage est probablement encore plus élevé, laisse entendre Claire Bisson, chef adjointe de l’investissement de Fondaction, qui se présente comme « le fonds d’investissement de ceux qui se mobilisent pour la transformation positive de l’économie québécoise ».
« On ne peut réduire les consommateurs à un groupe au profil homogène ; certains font plus d’efforts pour l’environnement que d’autres, constate-t-elle. Mais, à partir du moment où une organisation est pointée du doigt pour ses pratiques fautives, il semble y avoir un ressac. »
À l’heure de l’investissement responsable, cela peut lui coûter cher. Selon le « Rapport de tendances de l’investissement responsable canadien 2020 », publié par l’Association pour l’investissement responsable, ce type d’investissement représente près de 62 % de l’industrie de l’investissement au pays. C’est une hausse d’environ 50 % par rapport à il y a deux ans. « Les investisseurs regardent de plus en plus ces critères dans leur analyse des risques et opportunités, confirme Claire Bisson. Ils sont désormais tout aussi importants que ceux de nature financière. » En cause : le « risque systémique » que représentent les changements climatiques pour l’économie mondiale, comme l’affirmait l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, en 2019.
« Ce qui est vrai pour des investisseurs l’est aussi pour des entrepreneurs, rappelle Claire Bisson. Intégrer des volets environnementaux, sociaux et de gouvernance dans son modèle d’affaires est une façon de le rendre plus résilient face aux perturbations climatiques actuelles et futures. »